En 2010, LCD Soundsystem atteint les sommets. Et James Murphy en profite pour annoncer que le groupe va se dissoudre. Explications avec le principal intéressé.
“Merci Paris, on reviendra !” James Murphy, victorieux, quitte la scène du Bataclan, après deux soirs de concerts torrides et extatiques de son groupe LCD Soundsystem, en ce début mai. Le colosse se révèle bien moins bougon que dans les déclarations laconiques qu’il lâche à la presse de temps en temps.
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En début d’année, en pleine gestation de This Is Happening, le producteur, chanteur et touche-à-tout new-yorkais avait fait part de son envie de dissoudre sa formation après cet ultime disque et ses 40 ans. Officiellement quadra depuis le 4 février, Murphy a réitéré ses menaces. Au New Musical Express, au Guardian et au Monde, il confie avoir commencé sa carrière sur le tard, se moquer comme de son dernier T-shirt de la célébrité et être conscient des sommets atteints par son groupe – sommets qu’il estime difficile de dépasser. Ce qui ressemblerait à un caprice de starlette ou à de la fausse modestie est en fait l’aveu de sa grande lucidité sur sa courte carrière, et de sa lassitude.
L’envie de rompre le cercle épuisant de la promotion et des tournées
Ajoutons l’envie de rompre le cercle épuisant de la promotion et des tournées qui se resserre sur son groupe. Avec ce troisième album, LCD Soundsystem s’est révélé une formation emblématique et cruciale de l’electro-rock du XXIe siècle, mais aussi le champion indiscutable d’une éternelle sous-division du rock où il restera à jamais cantonné. Drôle de paradoxe pour une figure respectée, admirée et jamais égalée, totalement atypique dans le paysage musical actuel, qui joue la carte de l’autodérision jusque dans le clip du nouveau single, Drunk Girls. Le vidéaste Spike Jonze y invente de sales pandas qui investissent le plateau de tournage et malmènent les musiciens alors qu’ils tentent d’enregistrer le clip.
James Murphy, c’est avant tout un producteur de génie à travers son groupe et son label DFA, et un DJ fou du disco de sa ville de New York, de post-punk et de new-wave de tous horizons. Mais c’est surtout un physique impressionnant, un immense nounours qui compense son manque d’expérience au micro en occupant l’espace comme personne et finit par imposer le charisme mastoc d’un puncheur poids lourd.
Début mars, il passait à Paris pour la promotion de l’album, une veste YSL négligemment étendue sur la moquette de la suite du grand hôtel qui héberge son groupe. Le sympa Murphy n’avait alors pas trop la forme, ce qu’il devait autant au jet lag qu’à sa gueule de bois de la nuit précédente. Il est surtout là parce qu’on l’a invité à jouer en cette semaine de Fashion week lors du défilé Yves Saint Laurent.
Murphy n’a rien changé à ses habitudes
Son troisième album pas encore sorti, Murphy en explique la gestation. Il n’a rien changé à ses habitudes. “Le groupe, c’est principalement moi, mais Nancy (Whang, claviers) et Pat (Mahoney, batteur) sont avant tout des amis. Avec Pat, on passe notre temps à parler de musique. Quand je travaille sur des morceaux, il vient chez moi, on prend un café, il écoute et on en parle. Il a beaucoup à dire, mais sans qu’on soit jamais dans un rapport de groupe.”
Pour le successeur de LCD Soundsystem (2005) et de Sound of Silver (2007), le New- Yorkais a pour la première fois embarqué sa troupe sous le soleil californien, dans un studio de Laurel Canyon qui avait rarement connu telle débauche électronique. “Mon studio est super mais c’est mon bureau, là où je travaille. J’ai beau être un technicien, je suis aussi un artiste, même si par nature je ne me sens pas très créatif. J’ai besoin de m’en éloigner.”
“J’ai beaucoup appris en travaillant seul »
L’inspiration, elle, surgit toujours, quelle que soit la couleur du ciel. “J’ai beaucoup appris en travaillant seul. Mais ça ne me donne pas pour autant une confiance indestructible, ça n’aurait aucun sens pour moi.” Cette capacité à réaliser ses rêves musicaux en toute autonomie lui permet de rendre hommage aux sombres héros de sa vaste discothèque. Après avoir convoqué les fantômes de The Fall, des Talking Heads ou de la no-wave façon Liquid Liquid sur ses précédents albums, il règle cette fois son compte au glam-rock, comme sur l’entêtant, efficace et simplissime Drunk Girls, qui dévoile un versant power-pop de LCD Soundsystem.
https://youtu.be/Fa5kz4AZv20
Plus loin, All I Want résonne en écho postmoderne, si c’était encore possible, du fameux Heroes du David Bowie période növö. “Je veux vraiment obtenir ce son de guitare depuis que je suis gosse. Vers 15 ans, toutes les chansons que j’écrivais tentaient ce son qui m’obsédait.” La grande force du groupe réside dans cette capacité du fan Murphy à s’exprimer de façon unique et originale tout en honorant les musiques qu’il vénère, ce qui lui permet de parler autant aux seniors monochromes qui ont partagé ses références qu’aux jeunes générations fluo, sensibles à sa fraîcheur et à sa pertinence.
« Le truc n’est pas de copier bêtement, mais d’atteindre un résultat »
“Pour cacher une influence, il faut une énergie qui m’empêcherait de faire de la bonne musique. Donc parfois, quand j’aime un son, j’en fais un copier-coller et ça me va. Le truc n’est pas de copier bêtement, mais d’atteindre un résultat.” Sur Somebody’s Calling Me, Murphy nous entraîne ainsi dans les bas-fonds du Nightclubbing d’Iggy Pop : moite, glauque et sexy, à l’image de son piano déglingué de cabaret berlinois.
Charmé par les serpents de cette ère présynthétique que sont ses icônes Bowie, Iggy ou Roxy Music, James Murphy ne délaisse pas pour autant leurs proches descendants de la new-wave synthétique dont l’impact demeure omniprésent sur This Is Happening, mélangé à un electrofunk diabolique et à une folie tribale pour un cocktail que résument à merveille One Touch et You Wanted a Hit.
« Bien sûr, je voulais être une rock-star pour les mêmes raisons stupides que les autres kids »
Des hits, c’est justement ce à quoi Murphy n’ose plus prétendre, lui, le punk défroqué venu sur le tard à la dance, qu’il détestait jusquelà, après avoir avalé son premier ecsta à 30 ans. “Mes frères et sœurs ont dix ans de plus que moi. Ils avaient de super disques de rock des années 1960 tandis que mon père était obsédé par les big bands de jazz. A 5 ans, j’avais l’habitude de m’allonger sur le sol de la cuisine pour écouter et ressentir les sons comme celui du réfrigérateur. Pendant des heures, je pouvais écouter ces bruits qui formaient des boucles de notes. A 8 ans, je voulais une vraie chaîne hi-fi, pas juste un mange-disques. Mes parents et mon frère m’en ont offert tous les éléments. Ce que j’ai acheté en premier, ce sont des disques, comme Fame de Bowie. Bien sûr, je voulais être une rock-star pour les mêmes raisons stupides que les autres kids.”
L’adolescence dessine les voies qui le marqueront au fer rouge du punk. “Dans ma petite ville paumée du New Jersey, le meilleur pote de mon frère, de l’autre côté de la rue, était un grand fan de punk. Ma sœur aimait les Ramones. Pour moi, Dog Food d’Iggy Pop était un classique. Par la suite, j’ai découvert la newwave de ma génération, The Knack, les Go- Go’s… Mais avant tout, j’adorais The Clash et les B-52’s.”
« J’adorais Siouxsie, j’étais à fond dans The Smiths, et par dessus tout fan de The Fall »
La découverte du post-punk anglais finit de modeler ce futur Frankenstein de l’electro. “J’ai écouté New Order avant Joy Division. J’adorais Siouxsie, j’étais à fond dans The Smiths, et par dessus tout fan de The Fall. Une nuit, vers 15 ans, je regardais la télé et suis tombé sur Hail the New Puritan, un documentaire sur le danseur Michael Clark. La musique était signée The Fall, dont je n’avais qu’un disque. Ce docu m’a estomaqué. C’était le résumé de tout l’esprit du punk. Quand j’ai enregistré Losing My Edge, le premier morceau où je chantais, j’ai tout fait pour sonner comme leur chanteur, Mark E. Smith. C’est juste l’influence la plus importante de ma vie.”
Ce “melting potes” de quarante années de musique donne aujourd’hui naissance au meilleur hybride electro-rock de sa génération. Il n’existerait pourtant pas sans un vilain coup du destin. “Ma mère a eu un cancer quand j’avais 10 ans et son traitement a provoqué une paralysie. Mon père, lui, a eu des problèmes de santé à cause de la cigarette. Quand ma mère est morte, en 2001, il ne lui a survécu que six mois. Ça m’a épuisé de m’occuper d’elle mais ça m’a fait grandir plus vite que prévu. J’ai dû être mon propre père. Quand vous vous occupez de votre mère et qu’elle meurt, ça vous change. Et moi, ça m’a particulièrement changé. J’ai arrêté d’avoir peur.”
« Ce qui rend la musique d’aujourd’hui aussi prévisible, ce ne sont pas les fans, mais ceux qui croient savoir ce que veulent les fans »
A 31 ans, libéré du poids de la souffrance, Murphy se lance à corps perdu dans sa carrière. Il s’arroge aujourd’hui le droit de la mettre en veilleuse, fort de sa maturité. “Ça m’a frustré d’entendre le milieu de la musique prétendre qu’il aimait LCD Soundsystem mais que nous ne pourrions réussir davantage sans passer à la radio, à cause de notre refus des petites pop-songs de trois minutes. J’ai trouvé ça très condescendant, non pas vis-à-vis de moi mais vis-à-vis des fans. C’était les prendre pour des crétins et je n’étais pas d’accord. Ce qui rend la musique d’aujourd’hui aussi prévisible, ce ne sont pas les fans, mais ceux qui croient savoir ce que veulent les fans.”
Lui s’en fout et préfère flirter avec les dix minutes sur plusieurs des neuf morceaux de This Is Happening, comme une provocation au formatage de son époque. Voilà comment un génie de notre temps peut envisager de mettre un terme à son groupe dès qu’il aura achevé la tournée de son nouvel et exceptionnel album. L’avenir dira si les boules à facettes de LCD Soundsystem continueront d’éblouir les dance-floors ou si Murphy va leur préférer une nouvelle vie de songwriter. Pourquoi pas les deux ? Si vous croisez par hasard dans la rue une crête taillée dans du gel, ne vous y fiez pas : le dernier punk, c’est James Murphy.
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