Les ex-comparses de Kurt Wile reviennent avec la ferme intention de renouveler le succès de leur disque précédent. Critique de l’album et interview au forceps du leader du groupe, Adam Granduciel.Les ex-comparses de Kurt Vile reviennent avec la ferme intention de renouveler le succès de leur disque précédent. On fait le point sur « A Deeper Understanding » avec le leader du groupe, Adam Granduciel.
Adam Granduciel, le leader chevelu de The War On Drugs, est un cauchemar pour intervieweur. Confit dans une timidité de prudence, le musicien de 38 ans entame ses réponses à nos questions sans jamais en terminer aucune. Le pied total.
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C’est sans doute cette pudeur extrême, doublée d’un perfectionnisme quasi-pathologique, qui explique son goût immodéré pour la claustration en studio. L’enregistrement du précédent album du groupe originaire de Philadelphie, le bien nommé Lost in the Dream, a même failli avoir raison de la santé mentale du chanteur/guitariste. Mais le succès maousse du disque (255 000 copies écoulées et deux ans de tournée) a sans doute poussé le songwriter à en reproduire les tourments :
« J’ai loué un studio à L.A. pendant 15 mois. J’y allais tous les jours, 9 heures par jour. C’était comme aller au bureau. Il n’y a que comme ça que je suis heureux. Quand je fous rien, je suis un vrai cauchemar », admet le musicien qui estime qu’un tel luxe n’est possible qu’à Los Angeles. « L.A. est la capitale mondiale des studios. À New York, soit t’es un pro, soit tu composes dans ta piaule. Il n’y a pas d’entre deux. »
Le rockeur connait son sujet. Juste après l’enregistrement de l’album, Granduciel a quitté L.A. pour Brooklyn pour suivre sa girlfriend, l’actrice Krysten Ritter qui incarne en ce moment la superhéroïne alcoolique Jessica Jones dans la série de Netflix.
« Régime totalitaire »
Pour éviter une nouvelle ordonnance de barbituriques et apaiser les tensions, Granduciel s’est résolu à inclure davantage les membres de The War On Drugs dans l’enregistrement. Une révolution pour un groupe qui se décrit volontiers comme « un régime totalitaire » :
« Je voulais plus de spontanéité. Que le disque sonne comme un groupe jouant live. Sur les albums précédents, il y avait énormément d’overdubs, de travail en studio… On donnait seulement l’illusion d’un groupe jouant ensemble. Cette fois, je voulais que les gars aient le temps de développer leurs propres idées au lieu de simplement leur dire ‘Ok, voilà les accords. Mets-moi de la basse là-dessus.' »
Moins saturnien que son prédécesseur, A Deeper Understanding porte tout de même son lot d’entailles et de brûlures. À l’image de Pain, morceau sans refrain aux paroles aussi sublimes que littérales :
« Il y a quelques années, je me suis blessé le dos. Je ne pouvais plus m’assoir, me tenir debout ou conduire. La souffrance était intolérable. J’étais dans l’incapacité physique de vivre. Ces conneries ont duré 4 ans et finalement, je me suis fait opérer mais le souvenir de la douleur reste. La chanson parle de ça. »
« Les chansons de Dylan ne me quittent jamais vraiment… »
Chétives ou évidentes, les mélodies d’A Deeper Understanding ont toutes été composées aux claviers, comme vient le souligner la pochette de l’album. On regrettera qu’elles soient parfois gâtées par des arrangements pompiers (Up All Night, Holding On). Une tendance à l’adiposité qui par endroits empêche ce disque de convaincre entièrement. Car c’est dans la nudité que les ex-compagnons de vagabondage de Kurt Vile (co-fondateur du groupe parti en solo dès 2008) se révèlent le plus poignant. Comme sur ce Knocked Down sublime mené au Wulizter.
Pourtant, il y a quelque chose de bouleversant à entendre ces quasi-quadras s’entêter à faire vivre une musique en déroute, à faire dialoguer en eux Springsteen, Warren Zevon, Neu!, Neil Young, Tom Petty… Et surtout Dylan dont Granduciel plagie le phrasé et le timbre:
« Tu trouves ? s’étonne le musicien. Pourtant je ne l’écoute plus tant que ça… Enfin si. Je t’avoue qu’en studio je me passais John Wesley Harding (l’album du retour à la country de Dylan – ndlr). Mais rien de Blood on the Tracks ou de Time Out of Mind… Mais les chansons de Bob sont en moi. Elles ne me quittent jamais vraiment. Si tu jettes un oeil dans mon téléphone, tu y trouveras une soixantaine de chansons de Dylan… »
Anti-storyteller
On retrouve ici avec bonheur cette écriture impressionniste qui rend si remarquables les chansons de Granduciel. Contrairement à la plupart de ses héros, le leader de The War On Drugs est un anti-storyteller. Pour s’en convaincre, il suffit de se perdre dans le lyrique Thinking of a Place, moment de bravoure long de 11 minutes niché au coeur de l’album, porté par des couplets ciselés comme des haikus:
« J’ai joué ces deux accords au synthé en boucle un bon moment puis j’ai construit la chanson autour d’eux. La première version faisait 26 minutes mais c’était peut-être un poil long. (rires) Au milieu, je voulais un solo de guitare qui sonne comme une voiture ou un train fonçant dans le brouillard de la nuit. »
Peut-être la meilleure définition de ce grand disque romantique, parfois rustre, mais terriblement émouvant.
Album A Deeper Understanding (Atlantic/Warner).
Concert le 6 novembre à Paris (Bataclan) et le 7 novembre à Lille (L’Aéronef)
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