Du « Bee Gees sous diazépam » : le premier album d’All We Are, groupe global, est une belle surprise. Écoute et interview.
Quelques singles prometteurs, un groupe basé dans la décidément remuante et renaissante Liverpool mais dont les trois membres sont Brésiliens, Norvégiens et Irlandais, une musique protéiforme et inclassable, une soul-hip-pop à la fois discoïde, psychédélique et traînante qu’ils décrivent eux-mêmes comme du « Bee Gees sous diazépam » : All We Are est une jolie curiosité, et le premier album du trio à terroirs multiples est l’une des agréables surprises de ce début d’année.
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Éponyme, il est dores et déjà paru et en écoute ci-dessous, accompagné d’une interview de deux des membres du jeune groupe, la Norvégienne Guro et l’Irlandais Rich.
Vous êtes tous les trois d’origines très différentes, Guro est Norvégienne, Luis est Brésilien, Rich est Irlandais : que pouvez-vous me dire de vos jeunesses respectives ?
Rich : Luis n’est pas là pour en parler, mais nous avons tous évidemment eu des enfances différentes. Avec un point commun néanmoins : nous étions tous fans de musique, nous voulions tous en faire, depuis tout le temps, et c’est là-dessus que nous nous sommes retrouvés quand nous nous sommes rencontrés.
Quel a été votre parcours musical ?
Guro : Nous jouons tous depuis que nous sommes jeunes. J’ai commencé par la clarinette, mais j’ai aussi joué du piano, de la guitare. Et une fois la guitare en main, j’ai commencé à écrire des chansons, et je ne me suis pas arrêté depuis. J’écoutais beaucoup de choses très différentes…
Rich : C’est notre cas à tous, même si encore une fois nous avons beaucoup de références communes. Mais nous avons tous créé de la musique dès notre plus jeune âge.
Que s’est-il passé quand vous vous êtes rencontrés ?
Guro : On s’est d’abord rendu compte qu’on devait rester ensemble, tous les trois, comme des amis : faire de la musique était un bonus.
Vous avez étudié tous les trois au Liverpool Institute for Performing Arts : comment ça s’est passé, comment décririez-vous l’expérience ?
Rich : Je crois que nous cherchions avant tout, tous les trois, à quitter nos pays respectifs et à aller voir ce qui se passait ailleurs, nous lancer dans une nouvelle aventure. Mais notre histoire a en fait réellement débuté juste après la fac : nous voulions tous les trois rester à Liverpool, nous voulions tous les trois rester des amis proches, et le meilleur moyen de réunir ces volontés a été de créer un groupe. Le LIPA a été une bonne expérience, nous y étions surtout pour pouvoir faire de la musique et la chose la plus importante était sans doute les gens qu’on pouvait y rencontrer : l’atmosphère était bonne, on pouvait travailler avec beaucoup de gens différents, ça créait une émulation et une solidarité assez fortes, on pouvait s’influencer de ce qu’on voyait chez les autres. Mais la musique que nous faisons en tant que All We Are est surtout influencée par Liverpool, par son ambiance, les expériences qu’on y vit au quotidien.
Guro : C’est clair que Liverpool est ce qui fait All We Are, même si le fait de venir d’autres pays reste dans notre sang et nous influence un peu, même très indirectement. C’est peut-être plus le cas pour Luis que pour nous deux : lui a des influences brésiliennes assez fortes.
Rich : Oui, Luis joue beaucoup de musique brésilienne, des choses avec des couleurs, des accords, des structures auxquelles nous sommes, Guro et moi, sans doute moins habitués. Mais l’Irlande, la Norvège et le Brésil ont tous les trois des héritages musicaux assez forts, il reste donc forcément un peu de ça en chacun de nous.
Comment définissez-vous l’alchimie qui vous lie, en tant qu’amis, en tant que groupe ?
Rich : C’est l’amitié qui fait ce qu’est All We Are. Et le nom du groupe, « ce que nous sommes », en est le reflet. Quand nous avons terminé la fac, que nous avons commencé à jouer ensemble, nous n’avons fait que jouer, composer, nous avons lutté ensemble pour établir le groupe, et nous avons mis tout ce que nous étions dans notre musique. Nous sommes toujours ensemble, nous nous soutenons les uns les autres, on sent toujours qu’on peut compter sur le soutien des autres.
Guro : Nous nous sommes déracinés en quittant nos pays, mais nous avons ici, à Liverpool, créé de nouvelles racines, ensemble, et formé une nouvelle famille : le lien qui s’est créé est donc assez fort.
« Ce que nous sommes » : ça veut dire que vous ne mettez aucun filtre entre ce que vous êtes et la musique que vous produisez ?
Rich : C’est une bonne question. Il ne peut pas ne pas y avoir une forme de distance entre l’artiste et sa musique, mais je pense que nous incarnons très naturellement ce que nous faisons. Nous ne nous sommes jamais forcé à sonner d’une manière particulière, nous n’avons jamais décidé de faire tel ou tel type de musique. Notre musique vient naturellement, honnêtement, car sa source est pour chacun de nous plutôt personnelle.
Guro : On écrit d’abord pour nous trois, et on espère ensuite que les gens pourront s’approprier ce que nous faisons.
Que pouvez-vous me dire de Liverpool ? Comment est l’atmosphère, l’énergie, qu’y trouvez-vous ?
Rich : Son histoire est évidemment importante, et comme je le disais, c’est aussi le fait de vouloir rester ensemble tous les trois à Liverpool qui nous a poussés à monter All We Are. Il y a une activité, une effervescence artistique importante et permanente dans la ville : les artistes y forment une vraie communauté, les idées s’échangent, chacun peut être impliqué, au même moment, dans la musique, dans la vidéo. Liverpool est un endroit particulier qui est en train de vivre une époque particulière. C’est très excitant, nous sommes fiers de faire partie de ce moment, et nous sommes conscience de la chance que nous avons eu que Liverpool nous adopte de la sorte, comme un groupe de la ville, alors que nous sommes originaires d’ailleurs.
Quels autres groupes de la scène actuelle de Liverpool mentionneriez-vous, desquels vous sentez-vous proches ?
Rich : Nous sommes assez proches de Circa Waves, de Stealing Sheep, mais on pourrait aussi mentionner Dan Croll, Lapsley ou Forest Swords : j’en oublie sans doute, car il y a énormément de bons groupes en ce moment à Liverpool. C’est très inspirant. Et c’est chez nous.
Guro : On se connaît tous. On vit tous dans le même coin, dans un rayon de, disons, 200 mètres… (rires)
Quel était le désir initial, quand vous avez commencé à faire de la musique ensemble ?
Guro : Nous voulions faire quelque chose qui nous touche, et qui puisse ensuite toucher les gens, une musique qui ait un groove qui donne envie aux gens de bouger leurs corps.
Rich : Nos premiers morceaux étaient horribles, par contre… (rires) Ils étaient assez différents, mais il y avait déjà quelque chose que l’on retrouve dans ce que nous faisons maintenant, une atmosphère particulière, une volubilité, un psychédélisme que nous avons ensuite développé en devenant de meilleurs musiciens, en maîtrisant mieux nos instruments, notre savoir.
Comment écrivez-vous ?
Guro : Nous sommes un groupe qui jamme beaucoup. On prend nos instruments, on commence à jouer, on voit ce qui arrive. La base peut-être très différente d’une chanson à l’autre, un beat, une ligne de basse, une mélodie vocale, mais on essaie, on joue, encore, encore, encore, et dès qu’on trouve une idée qui nous semble bonne, on la suite, on la développe.
Rich : C’est instinctif, et c’est étrangement la même chose pour la musique et pour les paroles. Les choses arrivent comme par magie. C’est quelque chose qui étonne toujours beaucoup les gens. Mais on s’est rendu compte que si on essayait d’écrire les textes sur une feuille de papier, les mots étaient déjà là, naturellement, prêts à être posés sur le morceau. Tout se développe d’une manière organique.
Comment définiriez-vous une bonne chanson d’All We Are ?
Rich : Question difficile. Peut-être un morceau qui te prend où tu es, mais te laisse à un autre endroit. Cette idée, ce sentiment de voyage est assez important pour nous. C’est ce que nous traversons quand nous jammons, pour écrire un morceau, nous essayons d’atteindre un autre état de conscience, de nous transporter dans une autre atmosphère. Et nous voulons que ceux qui nous écoutent ressentent quelque chose de similaire, qu’ils jouent le disque chez eux ou qu’ils nous voient sur scène.
Guro : On sent instinctivement, pour nous-mêmes, quand on arrive à toucher ce point très particulier, et c’est quelque chose d’incroyablement plaisant.
La soul est l’une de vos grandes influences ?
Rich : Oui. La soul, et plus généralement les musiques qui ont un groove, les musiques qui transportent l’auditeur. Nous avons récemment fait une interview à Paris où un journaliste nous a demandé si nous avions intentionnellement pensé au tracklist de l’album comme à celui d’un disque soul classique : c’était intéressant, car nous n’y avons pas pensé comme ça, mais ce n’est pas faux du tout. Si nous ne faisons pas de la soul traditionnelle, on peut en retrouver beaucoup d’éléments dans notre musique, dans notre album.
Vous décrivez parfois votre son comme du « Bee Gees sous diazepam » (ndr : la molécule du Valium). Que pouvez-vous me dire de l’aspect « Bee Gees », et de l’aspect « diazepam » ?
Guro : Les chansons ont une sorte de groove, un groove disco, mais c’est de la disco un peu traînante, fainéante, droguées, sans les voix haut perchées. On décrit aussi notre musique comme du « boogie psychédélique », pour les mêmes raisons, pour ce mélange d’atmosphères, dansante d’un côté, plus cérébrale et tordue de l’autre.
Vous êtes aussi assez influencés par le hip hop…
Rich : Oui, c’est quelque chose que nous avons tous les trois en commun. Nous aimons beaucoup le hip hop, et surtout ses aspects groove –nous avons un goût commun pour ceux qui réussissent avec peu de choses, des mélodies simples et des boîtes à rythmes minimales. Nous adorons par exemple l’album de Frank Ocean, ou Kendrick Lamar. Mais tout le rap west coast des années 90, le g-funk, les choses très laidback, ces grooves « assis dans une Cadillac » sont une grande influence pour nous trois.
Et en dehors du hip hop ?
Guro : Comme nous l’avons déjà dit, beaucoup de chanteurs soul. Et Arcade Fire : nous sommes tous les trois très fans d’Arcade Fire.
Rich : Oui, il y a quelque chose d’épique qui nous attire beaucoup chez Arcade Fire.
Guro : J’ai grandi en écoutant Franz Ferdinand, je les adore toujours. Et il y a évidemment l’héritage des Beatles, des Kinks ou de Paul Simon, toujours présent quelque part.
Vos premières chansons ont été très bien reçues : comment avez-vous géré la suite ? Ressentiez-vous une quelconque pression quand il s’est agi de produire un album complet ?
Guro : Non. Ca nous a simplement donné envie de travailler encore plus dur. Nous avions trouvé notre son, nous nous étions inventés un chemin, une manière de faire, et les chansons de l’album sont venues assez rapidement. Il y a évidemment toujours un peu de pression, mais ce n’est que celle que nous nous mettons nous-mêmes : nous voulons ne pas nous décevoir.
Vous avez écrit cet endroit dans plusieurs endroits différents –notamment au fin fond de la Norvège ou du Pays de Galles. Que pouvez-vous m’en dire ?
Rich : Les endroits où nous sommes allés n’importent finalement que peu : ce qui était primordial était leur isolement. Nous aimons nous enfermer à trois, loin du monde, pour travailler. On apporte ce que l’on peut techniquement apporter et on bosse. Nous trois et c’est tout : pas d’Internet, pas de téléphone, pas de contact avec l’extérieur, nous nous entendons si bien que l’enfermement et la promiscuité n’ont jamais été un problème potentiel. Mais si nous avons jeté les bases de certaines des chansons dans ces endroits un peu spéciaux, nous en avons aussi écrit une bonne partie à Liverpool, dans l’ancienne école que nous utilisons comme base, un endroit où nous pouvons aussi pas mal nous isoler. C’est un endroit assez vaste, on y a un petit studio, un endroit où on peut répéter. Cet endroit est assez central dans notre histoire : nous n’aurions jamais pu continuer, faire ce que nous avons fait, si nous n’avions pas eu ce genre d’endroit à notre disposition : on le loue pour une bouchée de pain, mais on y va quand on veut, on y passe le temps que l’on veut, on y fait ce que l’on veut.
Que pouvez-vous me dire de l’enregistrement de l’album, avec Dan Carey ?
Rich : Nous sommes allés à Londres et je crois ne pas exagérer si je dis que ce furent les plus beaux jours de ma vie. (rires) Nous avons vraiment passé un excellent moment. Dan est un garçon adorable, très impliqué dans ce qu’il fait, tout en réussissant à créer une atmosphère assez informelle. Nous nous considérons comme un groupe de concert, et nous voulions enregistrer les batteries, les guitares, la basse en même temps, pour capturer cette atmosphère live. On en revient à cette idée de « all we are », « tout ce que nous sommes » : essayer d’enlever les filtres, de faire directement passer les chansons à l’auditeur telles qu’elles étaient, encore un peu brutes, quand on les a écrites dans l’école abandonnée.
Comment décririez-vous cet album, avec vos propres mots ?
Rich : Nous avons vraiment passé du temps à concevoir son tracklisting : nous voulions que cet album soit une sorte de voyage pour celui qui l’écoute.
Guro : Comme une vague, qui prendrait l’auditeur et l’emmènerait où elle veut en le secouant un peu dans tous les sens. On ne sait pas exactement ce qui va se passer, mais au final on se retrouve quand même près du rivage, sain et sauf. Il faut se laisser faire.
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