Après huit ans de silence, retour discographique de L’Orchestre National de Barbès. Un troisième album où les musiques traditionnelles du Maghreb poursuivent leur inlassable combat rock.
Garé en double file devant la Cigale, près de leur quartier fétiche, le camion de l’Orchestre National De Barbès transporte ce matin un lot de 1 101 roses. Nous sommes le 14 février, jour de la Saint-Valentin, et chaque spectatrice qui viendra assister ce soir au retour sur scène du groupe franco-maghrébin recevra une fleur. Histoire de renouer une histoire d’amour interrompue il y a huit ans déjà. Pour élégante qu’elle soit, l’attention n’est pas dénuée d’arrière-pensées, car La Rose est aussi le titre d’une chanson de leur troisième album, Alik, adaptation valsante d’un classique de Mohamed Mazouni, chanteur pionnier de l’immigration algérienne des années 60, de cette génération qui essuya les plâtres, les a souvent posés. Difficile de dire qu’en ce début 2008 la France fleure le parfum de rose. Tout y est devenu tellement délétère, confus et si tartuffe. Un constat qui vaut pour le parti socialiste, à qui cette chanson de désamour est dédiée, comme pour le camp d’en face. Rachida Dati, “une enfant de la communauté”, est certes garde des Sceaux, et “symboliquement c’est très fort”, reconnaît Kamel Tenfiche, percussionniste, membre fondateur du groupe, “mais si sa nomination est révélatrice d’une véritable avancée, en revanche son action est l’instrument d’une politique haïssable. Elle est juste là pour faire le sale boulot.”
Sur la table du bistrot s’étale l’article d’un quotidien sur la rafle musclée de la veille dans un foyer d’ouvriers africains à Paris. Comment éviter ces sujets ? Il y a vingt ou trente ans, ils inspiraient des chanteurs comme Mazouni, comme Cheikh el Mamachi ou le Kabyle Slimane Azem, autres francs-tireurs de la scène immigrée à qui l’ONB emprunte respectivement Civilisé et Résidence. “Résidence date de 1979, époque où le gouvernement de Giscard mettait le programme d’“aide au retour” en place. On donnait 10 000 francs aux immigrés pour qu’ils rentrent au bled. Aujourd’hui, on les aide à coups de bottes”, siffle le bassiste Youcef Boukella. Leur nouvelle version dévisse joyeusement sur un zouk congolais qui en actualise le texte, car c’est moins le Maghrébin que le Noir africain qui est visé par les expulsions aujourd’hui. Cette chanson exemplaire révèle combien la musique de l’ONB sait rester en prise avec une réalité concrète.
Si leur adaptation du Sympathy for the Devil des Rolling Stones frise le pastiche, elle demeure crédible musicalement, et surtout “concernée”. “Ça dérange dans notre communauté d’avouer sa sympathie pour le diable, du fait que la parole y est l’otage de certaines institutions religieuses se réservant le droit de décréter ce qui est bien ou mal.” D’après ce que nous en savons, cette façon de se comporter, effrontée et provocatrice, s’appelle aussi “rock”, voire, poussée dans ses ultimes retranchements, “punk”.
L’esprit des cheikhs et des chikhates, troubadours traditionnels du bled à l’origine des premiers assauts du raï qui ont inspiré l’ONB, n’est pas différent. Comme finalement sont proches ces musiques brutes, rêches, hypersensuelles, qui vous aspirent dans leur mouvement hélicoïdal et finissent par dérégler vos sens comme un aimant les rouages d’une montre. Rares sont les albums qui comme Alik (“Fais gaffe !” en arabe) réussissent à se jouer si naturellement de la bascule entre ces deux univers.
Enregistré dans les conditions du concert à l’Usine d’Arcueil par l’ingénieur du son Luis Saldanha, Alik possède cette allégresse combative rapprochant Clash de Rimitti. Encore que Madame soit plutôt à mi-chemin entre Gene Vincent et le Ricky Banlieue de Margerin. “Cette chanson remonte à l’époque où j’allais dans les boums et essayais péniblement de me faire une banane avec mes cheveux tout frisés”, rigole Kamel. Outre le bon esprit, on se dit qu’en ces temps où l’on vous somme de choisir entre une appartenance ou une autre (le communautarisme), où l’on inaugure un ministère de l’Identité nationale, ce genre de décalage fait vraiment du bien.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}