Fils spirituel de Michel Legrand et Georges Delarue, électrique et virtuose, Alexandre Desplat est actuellement le compositeur le plus stylé du cinéma français. Avec Marie-Louise ou la permission, Les Milles, Regarde les homes tomber et aujourd’hui Le plus bel âge, il est également le plus demandé.
Sortie sur les écrans en juin dernier, Marie-Louise ou la permission, la comédie gentiment farfelue de Manuel Flèche, s’est prématurément retrouvée reléguée aux arrière-salles, puis à une opacité presque totale. D’éminents confrères, spécialistes en cinématographe, ne semblaient guère s’en émouvoir. On leur faisait confiance. Ici, pourtant, à la rubrique des musiques de genre, nous étions quelques-uns à nous lamenter, nous qui avons appris à aimer le cinéma les yeux fermés, seulement pour ces bandes très originales qui accompagnent parfois les films secondaires. (Louons au passage la grandeur d’un Michel Magne, qui na pourtant jamais composé que pour des pellicules boiteuses et des metteurs en scène aussi impérissables que Jean Girault, André Hunebelle ou Edouard Molinaro !) En dépit du charme un brin essoufflé du film – qui aurait fait un épatant court métrage, dira-t-on sans se mouiller -, Marie-Louise ou la permission est donc avant tout une BO remarquable, signée par Alexandre Desplat, un jeune compositeur qui passe déjà pour un miraculé dans la génération des Eric Serra et autres pollueurs patentés du dolby stéréo fier-à-bras, il y a d’abord cette chanson, La Petite américaine, chantée dans un franglais délicieux par la jeune et jolie comédienne Kate Beckinsale – « If y ou love les cafés crème et les jolis mots je t’aime, and if you dream of a romance with a hero de la France… » – façon valse de Noël, appétissante comme une montée de chantilly, illuminée tel un bateau-mouche glissant on the river Seine. Il y a aussi ces thèmes qui évoquent tour à tour Henri Mancini et Jacques Tati, Broadway et Jour de fête, Saint-Germain et l’Amérique du Sud, le jazz et la java, Nino Rota et le mambo. Depuis Les Demoiselles de Rochefort ou Peau d’âne, rarement la musique d’un film français aura su captiver au point de mener sa propre vie, de couper le cordon ombilical qui la reliait à ses images nourricières. Aussi, peu importe qu’à la lumière de son imposant centenaire le cinéma n’ait pas révélé en Manuel Flèche un nouveau Jacques Demy – tout au plus un Lelouch plus influencé par Capra que par son nombril, ce qui n’est pas si mal -,au moins aura-t-on remarqué à cette occasion quun nouveau Michel Legrand fort acceptable sévissait en France, ce qui est déjà beaucoup.
À 34 ans, Alexandre Desplat exhibe un palmarès plutôt enviable, dans un domaine où le moindre début de réputation semble s’obtenir au prix de prouesses herculéennes ou de compromissions mafieuses. Après un parcourt classique entamé à l’âge de 6 ans et ponctué de premiers prix de conservatoire-flûte, solfège et musique de chambre-, il débute en composant pour la scène (théâtre et ballets) avant d’ uvrer comme un forçat pour des écrans de tailles diverses : il a écrit à ce jour la musique d’une quinzaine de courts et longs métrages, d’une dizaine de téléfilms, laissé au souvenir des hit-parades nationaux la pantalonnade
d’Eric Moréna 0,mon bateau et à celui des lucarnes les musiques des spots de L’Esprit de Chanel ou du Loto sportif. Ce stakhanoviste, qui goûtait cet été ses premières vacances depuis quatre ans, compose aussi à une cadence infernale les accompagnements musicaux des sketchs quotidiens-de Karl Zéro -plus de cinq cents à ce jour- et d’une bonne partie des opérations spéciales de Canal+.
Hormis la pétulante BO de Marie-Louise, il est en outre difficile d’échapper ces jours-ci à Desplat, doublement à l’affiché pour la musique du nouveau film très « qualité française » de Sébastien Grall, Les Milles, et celle d’un polar franco-britannique, Péchés mortels. Encore des films que l’on préférera entendre que regarder : deux partitions ombrageuses dont certains passages poignants rappellent cette fois Georges Delerue, ce maître absolu dont Desplat est cité par beaucoup comme l’héritier légitime. « A l’heure qu’il est, si Marie-Louise avait fait cinq millions d’entrées, je serais considéré comme un génie, s’amuse-t-il à souligner très justement, parce que la musique n’y est pas secondaire comme dans de nombreux films et que les producteurs aiment les recettes qui font mouche. En France, tous les réalisateurs et les producteurs de cinéma que je rencontre insistent sur l’importance de la musique mais) au moment de passer à la caisse, on se retrouve la plupart du temps avec des budgets de misère et, évidemment) l’obligation d’en tirer le maximum. Tout le monde veut un grand orchestre, une centaine de musiciens, des chansons à succès, mais presque personne ne prévoit d’enveloppe pour la musique. Je comprends des gens comme Maurice Jarre, Legrand ou Delerue qui, à un moment, ont préféré s’exiler aux Etats-Unis pour jouir enfin de moyens confortables, ou simplement parce qu’ils savaient qu’à Hollywood leur statut de compositeur de musiques de films ne serait pas déprécié comme c’est le cas ici. Certains compositeurs, en utilisant des synthés, ont tellement compressé les coûts d’enregistrement qu’il est déplus en plus difficile de réclamer de vrais moyens. En revanche, sur Marie-Louise, Manuel avait prévu une part importante pour la bande-son dans son budget global, pourtant très réduit. C’est un film d’artisan, plein de qualités à mon sens. Il a été porté à bout de bras pendant des années par un jeune producteur dont c’était aussi le premier film, et qui s’est battu pour que chaque domaine, dont la musique, soit respecté. Malheureusement, le film na pas du tout été défendu et n’a pas marché. Je suis pourtant convaincu que Manuel fera d’autres longs métrages et que j’aurai de nouveau à collaborer avec lui. »
Après des années passées à butiner, Alexandre Desplat semble entretenir aujourd’hui une liaison prolongée .Après la bande-son insidieuse et parfaite de Regarde les hommes tomber très remarquée parce que le film eut du succès, eut du succès, selon le bon vieux procédé des vases communicants – i1 compose aujourd’hui celle d’Un Héros très discret, le second Jacques Audiard : « Avec Audiard, notre entente est parfaite. Dès le premier film, avant même le moindre tour de manivelle, nous savions à quoi ressemblerait la musique. Pour le nouveau, j’ai étalement commencé à travailler à partir du script. Nous voulons garde une couleur musicale commune et j’ai l’impression que cela peut se perpétuer dans le temps et sur plusieurs films. Entre 18 et 30 ans, je n’ai pas connu de rencontre déterminante avec un cinéaste comme ce fut le cas pour Serra avec Besson. Je suis donc resté à travailler dans l’ombre, j’ai appris à patienter, en multipliant les expériences les plus variées mais en essayant de ne jamais me perdre. J’ai rencontré Delerue à plusieurs reprises et c’est l’une des choses qu’il m’a enseignées savoir attendre et en profiter pour apprendre. Maintenant, la petite forêt que j’ai abattue commence à se voir et les metteurs en scène me contactent parce que les choses que j’ai accumulées derrière moi forment sûrement un ensemble cohérent. Lorsque je travaille avec Audiard, j’ai la sensation de me retrouver dans la peau de ces compositeurs qui ont eu une aventure de longue haleine avec un cinéaste important, mais cela ne m’empêche pas d’écrire pour d’autres des musiques totalement différentes. Lorsqu’il composait pour Fellini, Nino Rota utilisait quasiment toujours le même style de musique, alors que ses partitions pour Le Guépard ou Guerre et paix n’ont rien à voir. L’important, c’est qu’on parvienne à la longue à y déceler une touche commune, un savoir-faire particulier. »
Outre le Audiard, prévu pour Noël, on retrouve Alexandre Desplat dès cette semaine pour la bande originale du nouveau film de Didier Haudepin, Le Plus bel âge, dont le disque sortira agrémenté de plusieurs thèmes anciens composés pour d’autres films ou pour le théâtre. Infatigable, Desplat a aussi écrit pour un autre premier long métrage, Lucky punch de Dominique Ladoge, sur la boxe au début du siècle : « Le métier de compositeur de commande exige avant tout que l’on sache aller fouiller dans sa tête pour trouver des idées et rendre sa copie en temps et en heure. Aujourd’hui, j’arrive à un moment où je peux me permettre de faire des choix parmi tout ce qu’on me propose. En revanche, si j’accepte un film, je tiens absolument à m’investir à fond. Forcément, on ne travaille pas tous les jours avec Spielberg ou Kubrick ,il faut parfois prendre en compte les faiblesses d’un film et tenter par la musique de les colmater. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}