Les Arctic Monkeys sortent AM, album audacieux et franchement réussi. Le meilleur groupe anglais contemporain selon Etienne Daho qui a voulu rencontrer son leader Alex Turner.
Interrogé sur sa liste idéale d’interlocuteurs au moment d’envisager le sommaire de ce numéro spécial, Etienne Daho a illico cité Alex Turner, leader des Arctic Monkeys. “Pour moi, c’est tout simplement le meilleur dans le paysage musical anglais contemporain.” S’il aime la discographie des Anglais, le Français a un faible pour les travaux personnels du jeune homme, The Last Shadow Puppets par exemple, duo qu’il forme avec son copain Miles Kane, ou son projet solo Submarine. C’est d’ailleurs après avoir succombé à la pop flamboyante de The Age of Understatement, le premier et unique album à ce jour des Last Shadow Puppets paru en 2008, qu’Etienne Daho a contacté celui qui en avait à l’époque réalisé le mix, le musicien anglais Richard Woodcraft. Avec Jean-Louis Piérot, ce dernier coproduit aujourd’hui son disque attendu en novembre, Les Chansons de l’innocence retrouvée. Le calendrier faisant bien les choses, les Arctic Monkeys sortent aussi un nouveau recueil cette rentrée. Groovy et ample, affichant des influences bigarrées, sobrement intitulé AM, il a été enregistré et réalisé à L. A. sous la houlette de leur producteur fidèle James Ford. Quelques jours avant l’été, Alex Turner a donc répondu à l’appel d’Etienne Daho : ils se sont retrouvés à l’étage d’un café parisien pour évoquer la genèse de cet album, mais aussi l’histoire du groupe et les envies et projets de son leader. Rencontre entre deux artistes que réunissent le goût pour la vie à l’étranger – Daho vit à Londres, Turner à Los Angeles – et un amour commun pour le Velvet Underground et la soul music.
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Etienne Daho – J’ai été impressionné par le mélange des styles que brasse le nouvel album des Arctic Monkeys : r’n’b, glam, rock… Est-ce le fruit de tes dernières découvertes musicales ?
Alex Turner – J’ai écouté beaucoup de musiques différentes avant d’écrire ce disque, mais pour la première fois on a voulu essayer de faire du neuf. Jusqu’à présent, j’avais composé des disques qui reflétaient un peu trop les albums que j’avais écoutés. Avec The Last Shadow Puppets, j’ai presque réalisé un disque hommage à Scott Walker. Ce nouvel album emprunte aussi bien au glam qu’à Black Sabbath ou à des songwriters comme Mike Chapman, dont l’album Fully Qualified Survivor m’a littéralement obsédé. Il est sans doute plus difficile à étiqueter.
La production semble avoir été au coeur de vos préoccupations : aviez-vous une idée en tête ?
On a à nouveau travaillé avec James Ford, mais avec l’envie, cette fois, de s’éloigner de nos réflexes. D’abord, on a mis les voix très en avant, comme sur le premier morceau qu’on avait sorti il y a quelques mois, R U Mine?. Ensuite, on s’est retrouvés dans ce studio fantastique de Los Angeles, Vox. C’était rempli de guitares et d’instruments incroyables comme ce vieux clavier Optigan qu’on a utilisé. J’ai voulu ajouter des percussions comme dans le Gimme Shelter des Rolling Stones alors on s’est partagé le tambourin avec James Ford. La production est vraiment quelque chose qui me passionne aujourd’hui : j’aimerais bien essayer de produire le travail des autres, même si rien n’est prévu pour l’instant. J’adorerais faire des disques comme ceux que Leon Russel a réalisés pour Joe Cocker. C’est toi qui as produit l’album de Lou Doillon, non ? J’aime beaucoup la voix de Lou, elle me rappelle un peu celle de Karen Dalton.
C’est exactement ce que je lui ai dit la première fois qu’elle m’a chanté ses morceaux. On est venus tous les deux vous voir jouer à l’Olympia d’ailleurs. On avait envie de vous saluer à la fin, mais il y avait trop de monde alors on est partis… Je crois qu’on s’est même retrouvés dans l’ascenseur avec ta famille (rires)…
Oh, tu aurais dû venir !
Tes projets parallèles, comme The Last Shadow Puppets ou Submarine, nourrissent-ils ton travail avec les Arctic Monkeys ?
Totalement. Chaque chanson qu’un artiste compose, qu’il le veuille ou non, entretient une relation particulière avec celle à laquelle elle succède ou celle qu’elle va précéder. Même lorsqu’il s’agit justement d’écrire quelque chose en réaction à ce qu’on a déjà fait, tout reste lié. Et j’ai l’impression que ces projets m’apportent une certaine liberté bénéfique pour le groupe. Ça rend aussi les autres membres curieux et attentifs à ce que je fais (rires)… Ça contribue ainsi à la santé du groupe.
Y aura-t-il un deuxième album des Last Shadow Puppets ?
Oui, il faut qu’on s’y remette un jour. Mais cette perspective me rend un peu nerveux : pour le premier disque, on était très naïfs et spontanés. On s’est retrouvés dans la campagne française, sans véritable projet ni attente particulière, et personne ne savait que nous étions en train de faire de la musique. Cette fois, il y aura forcément une pression supplémentaire. Miles et moi sommes restés de vrais amis, on s’est encore vus à Londres la semaine dernière. Beaucoup de choses ont changé pour lui depuis ce projet : aujourd’hui il est une superstar, une tornade.
Les Arctic Monkeys ont beaucoup évolué en dix ans : vous êtes partis d’une énergie très brute et rock pour arriver à une musique beaucoup plus sophistiquée. Etait-ce prémédité ?
On a commencé par faire du rock’n’roll, sans réfléchir. On avait des guitares, on les a branchées, c’était parti. Mais très vite, on a eu envie d’évoluer, de progresser, d’avancer, sans réellement savoir quel serait l’objectif. Avec les Arctic Monkeys, on a toujours été davantage intéressés par le chemin, le trajet que par la destination finale. A nos débuts, beaucoup de labels voulaient nous offrir un contrat. Laurence Bell, du label Domino, nous a plu car il a vu plus qu’un petit groupe indie en nous. Il a compris qu’on voudrait aller plus loin que notre premier disque, qui semblait être le seul centre d’intérêt de la plupart des labels qui nous convoitaient. Aujourd’hui encore, on ne sait pas vers où on se dirige. On a fêté en juin le dixième anniversaire de notre premier concert dans un club de Sheffield. Hier, on était avec notre copain Josh Homme, il nous a présentés à Billy Gibbons de ZZ Top : il bosse avec les trois mêmes amis depuis quarante ans, on est des petits joueurs comparés à lui…
J’ai l’impression que les musiciens anglais ont toujours entretenu un rapport privilégié avec la musique soul, qui reste la musique que je préfère au monde. Est-ce le cas pour toi ?
Oui ! Et cet amour pour cette musique m’est venu de mes parents. Ma mère passait beaucoup de disques d’Al Green et de Motown à la maison. Récemment j’ai été complètement obsédé par la chanson Flyin’ High (in the Friendly Sky) de Marvin Gaye. J’aime la soul car c’est une musique qui te fait ressentir des émotions, qui ne te laisse pas le choix. Ça te perce le coeur ou ça te secoue les hanches. Tu ne peux pas y échapper, pas en sortir indemne.
J’habite Londres aujourd’hui. C’est toujours bénéfique et inspirant pour les artistes de vivre dans un pays étranger… Tu vis à Los Angeles, non?
On y a enregistré les trois derniers disques. A chaque fin d’enregistrement, on était tristes de quitter la ville et on a commencé à plaisanter en disant qu’on devrait s’y installer. Finalement, on y habite tous aujourd’hui et c’est la première fois en huit ans que tous les membres du groupe vivent dans la même ville. Los Angeles est un endroit fascinant, qui m’a certainement inspiré certains éléments du disque. Pour autant, je ne dirais pas que c’est un disque sur Los Angeles. D’ailleurs, j’ai volé son titre, AM, au Velvet Underground (pour VU – ndlr), qui est un de mes groupes préférés. Il y aurait donc une influence plus new-yorkaise…
C’est mon groupe préféré aussi, Lou Reed est mon héros… Je voyais quelquefois Nico quand elle habitait en France.
Vraiment ? J’adore son morceau I’m Not Saying… Sur le morceau Mad Sound, j’avais envie de retrouver quelque chose de Lou Reed : je voulais obtenir une espèce de crasse à la Transformer. A chaque fois que j’écoute ce disque, j’ai presque l’impression qu’il va falloir que je prenne une douche après (rires)…
AM est aussi un disque dansant. Est-ce que tu danses ?
Oui, un peu… J’espère surtout que le disque fera danser les filles. Je pense que son côté dansant tient aussi à la façon dont on l’a façonné. On m’avait offert un petit enregistreur à quatre pistes pour mon anniversaire. On a enregistré les demos des morceaux dessus : je posais ma voix sur des boucles de basse et de batterie assez groovy. Ensuite, seulement, je suis allé chercher des guitares. Je dois reconnaître que j’en ai même acheté quelques-unes exprès, des vieux modèles oubliés… Je suis convaincu que certaines vieilles guitares contiennent en elles des morceaux de musique, qu’il y a des fantômes à aller réveiller au fond des instruments poussiéreux.
Est-ce délicat de parler de tes albums ? Parfois, c’est très intime, ou alors il faut expliquer des choses dont on n’a pas encore conscience soi-même…
Ce n’est pas toujours facile en effet. Mais le plus difficile pour moi aujourd’hui est d’accepter que l’album soit terminé. Je suis un peu tombé dans une spirale perfectionniste : j’ai compris pourquoi certaines personnes passaient des années et dépensaient des fortunes pour faire un disque. Il faut arriver à être satisfait à un moment et c’est d’autant plus dur aujourd’hui pour le groupe que nous avons la liberté et les moyens de continuer. Si nous n’avions pas des concerts programmés ces prochaines semaines, je pense que je serais encore à modeler le disque, à lui apporter des modifications. La musique est devenue un vrai travail, une discipline, même si j’y suis arrivé sans plan, sans projet… Je n’étais jamais monté sur scène avant le premier concert des Arctic Monkeys. J’ai juste fermé les yeux, j’ai chanté et tout de suite j’ai compris que c’est ce que j’avais toujours voulu faire. Je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre. Peut-être devenir barbier, à l’ancienne.
Est-ce qu’il y a des moments où il t’est encore difficile d’être exposé ? Je sais que, comme moi, tu détestes jouer dans des émissions télé.
C’est vrai. C’est plus angoissant qu’un concert, d’autant que le son est souvent très mauvais. Je ne me regarde jamais à la télévision. Avec les années, je me suis habitué à entendre ma voix mais pas à l’image que je renvoie.
Quelles sont les dernières nouveautés que tu as aimées ?
Je découvre sans cesse des musiciens, chaque nouveauté m’amène à une autre. Mon dernier coup de coeur ? Peut-être l’Américain Adrian Younge, qui a produit le récent Ghostface Killah et signé la BO de Black Dynamite, un film qui parodiait les films de blaxploitation. Il a aussi collaboré avec les Delfonics. Sinon, dans un registre moins neuf, j’ai aussi découvert l’album Nilsson Schmilsson d’Harry Nilsson.
Comment envisages-tu l’avenir des Arctic Monkeys ? On a encore un long chemin devant nous. On nous demande souvent ce qui a changé en dix ans. C’est simple : tout. Seule notre amitié au sein du groupe est restée la même qu’à nos 16 ans… Dans trente ans, qui sait, on ressemblera peut-être aux membres de ZZ Top, avec de longues barbes.
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