Le duo parisien Fantomes branche des guitares pas très clean sur des amplis par très nets et refait le rock.
Si vous traîniez vers Bastille au mitan des années 2010 et que vous étiez plutôt branchés rock, vous avez nécessairement atterri un soir à la Mécanique Ondulatoire, ce rade du passage Thiéré qui aurait pu donner son nom à un album de Caravan Palace (on n’est pas cool).
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A l’époque, comme aujourd’hui, les aficionado·as de groupes à guitares tenaient debout dans un bus. Ça tombe bien, la cave voûtée qui accueillait la scène sur laquelle se castagnaient alors les garageux de Travel Check, Night Beats ou encore ces glam-punks de Cheena, soit la fine fleur de ce que ces temps reculés avaient à offrir de mieux en termes d’instruments mal accordés, ne pouvait contenir qu’une centaine de kids alcoolisés.
Le garage rock à tendance pizza froide n’a plus vraiment la cote
Au bar, deux serveurs plutôt sympas, Paul et Mus (prononcé “mousse”), finiront à leur tour par former un groupe : “On servait des bières à des gros bourrés et on en avait ras-le-cul d’être des larbins. Du coup, on a monté Fantomes”, fanfaronne ce dernier. A Paris, le cul entre deux aires culturelles – le garage rock à tendance pizza froide n’ayant plus vraiment la cote et le revival shoegaze tirant la langue, bientôt supplanté par des sonorités plus cold et bruitistes –, Fantomes jamme et se cherche.
D’abord en ne jouant que des instrumentaux primaires, très rock, puis en ajoutant quelques lignes de texte. Un premier titre, Mountain, sort sur la compilation Voyage III – Beyond Darkness du label Pan European Recording, suivi de près par un EP, Fantomes, posant les bases d’une formule entérinant l’idée selon laquelle les regards des micro-scènes rock seraient dorénavant tournés vers les années 1990.
“C’était le kiff de refaire simplement de la musique”, nous rencarde Paul. “On était à la recherche de l’adrénaline que ça t’apporte quand, tout kid, tu entends pour la première fois un morceau de rock auquel tu ne captes rien, rajoute Mus. Tu perçois juste l’énergie. L’intention te touche et te fait péter un câble.”
Cette attitude slacker, les deux la traînent depuis un bail maintenant. Dans les années 2000, Paul se fait jeter du lycée et se réfugie au Woodstock Boogie Bar, à Limoges, sa hometown : “Avec des potes, on avait monté un groupe garage dans le genre Black Lips. On avait sorti un vinyle sur un label du coin et fait quelques dates. Ça s’appelait Jack Hero”, se souvient-il.
Une tournée avec Hanni El Khatib
Mus, quant à lui, faisait déjà le malin à l’école primaire : “On avait un atelier radio trop stylé et je devais m’occuper de la musique. J’ai demandé de la thune à ma daronne et j’ai ramené une cassette d’Iron Maiden, mon gars.” Plus tard, il fait le batteur chez Admiral’s Arms, un groupe qu’il qualifie lui-même de “post-hardcore”, avec qui il part de longs mois en tournée à se geler les miches dans un van étriqué.
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Retour à 2018. Bien copain avec Hanni El Khatib, Fantomes se retrouve à faire les premières parties du Californien lors de sa dernière tournée hexagonale : “On jouait dans des salles trop cool, on a fait La Cigale, à Paris. C’était une bonne semaine de vacances entre potes, en fait.”
L’occasion pour le duo de se roder à un exercice que le processus d’enregistrement de son premier album sorti début mars, It’s OK, aurait pu rendre compliqué, les mecs s’éparpillant en studio : “Il a fallu penser à comment le tout pouvait rendre sur scène, confie Paul. Il y a des parties, c’est n’importe quoi, il y a dix claviers. On était au studio Delta, chez Thomas Bunio, qui a aussi réalisé le disque, sans limite de temps.”
“On croisait les mecs d’Ojard, des musiciens comme Adrien Soleiman. S’il fallait poser une partie de piano, ou caler une basse, il y avait toujours un mec qui traînait. De vrais loubards de la musique.” Vu d’ici, It’s OK ressemble à la vie de Jay et Silent Bob, deux des protagonistes du cultissime Clerks (1994), de Kevin Smith.
Fantomes ressuscite la figure du “kid”
Les structures pop de ces morceaux à guitares branchées sur des amplis pas très nets sentent à plein pif les rayons poussiéreux “S.F. et gore” des vidéo-clubs de province, le fantasme des sessions de skate du jeune Jonah Hill dans les rues du L.A. alternatif des 90’s et la nostalgie d’un temps qui n’a jamais vraiment existé, mais qui nous semble aujourd’hui foutrement idéal.
“Quand on était gosses, il y avait beaucoup moins de questions à se poser. Aujourd’hui, on a tous des vies de merde, lâche Mus. On est un peu désabusé, c’est un peu comme quand on te demande si ça va bien. Bah non, c’est un peu la merde, mais on fait rouler, quoi.”
Dialoguant constamment avec Nirvana (les “Raiiinnbowww” hurlés sur Rainbow), The Strokes (City at Night), Built to Spill (le douloureux Parker Lewis), ou encore les Pixies (le sautillant et explosif Rain), Fantomes ressuscite la figure du “kid” telle qu’elle s’est développée depuis La Fureur de vivre (1955) jusqu’à Larry Clark et Gus Van Sant, et que seuls les rappeurs emo ont plus ou moins réussi à maintenir vivace ces dernières années. Tiraillé, romantique, branleur et instantanément pop, It’s OK est le meilleur truc que vous écouterez avant longtemps.
It’s OK (Pan European Recording/Sony Music)
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