L’Aérofiat 2.1. est un prototype automobile aussi fictif que réel. Inventé par l’artiste Alain Bublex, c’est surtout une véritable réflexion sur l’Histoire et le temps.
« Sans rire, si j’étais un touriste de passage à Lyon, c’est sûr, je passerais à Saint-Fons. » Situé dans la banlieue lyonnaise, coincé dans un paysage d’usines chimiques, Saint-Fons est un pur produit de l’ère industrielle. Mais aux yeux d’Alain Bublex qui y expose actuellement, cette origine fait paradoxalement tout son charme : on le visitera donc en sa compagnie, puis le voyage d’un jour s’étendra au reste de la banlieue ouvrière de Lyon, dans les sites industriels en cours de réaménagement, le tout sous le feu d’incroyables digressions évoquant aussi bien l’architecture de Chicago que les infrastructures éphémères. Voilà, le cadre est posé : aujourd’hui, on cause industrie.
Rien d’étonnant quand on découvre le prototype Aérofiat 2.1. qu’Alain Bublex expose actuellement à Saint-Fons : avec du scotch et du carton, l’artiste a ajouté au cul d’une vieille Fiat 126 un fuselage aérodynamique. Bublex en a rêvé, puis il l’a fait : l’Aérofiat existe donc bel et bien, preuves à l’appui. Le véhicule d’abord, protégé par une bâche comme un modèle rare, les vidéos ensuite, retraçant les bouts d’essai du véhicule dans les quartiers lyonnais (et s’achevant par l’accident fictif de la voiture contre un poteau télégraphique), les plans de coupe et autres dessins industriels enfin, démontrant à loisir les vertus de ce modèle à la fois fictif et réel, improbable et désormais irréfutable. « En fait, cette voiture, c’est un chaînon manquant dans l’histoire du design automobile, quelque chose qui nous fait passer des années 30 aux voitures d’aujourd’hui. » Véhicule d’hier et de demain, l’Aérofiat se donne un peu comme un vieux film d’anticipation : ou comment les hommes des années 50 imaginaient l’époque moderne. « L’Aérofiat, c’est le monde moderne à l’état de projet » (entretien avec C. Macel, catalogue de l’exposition). Réflexion sur l’Histoire et sur le temps, le prototype conçu par Alain Bublex ne quitte jamais, dans sa forme, une présentation industrielle : depuis les prototypes réduits à l’échelle proportionnelle et réalisés dans une véritable régie automobile, jusqu’au catalogue conçu comme ces petits dépliants de format allongé qui vantent les mérites de votre véhicule neuf, l’ensemble du projet Aérofiat imite les modes de présentation et de fabrication en cours dans l’industrie automobile. Il ne s’agit pas de nous mystifier, de nous faire hésiter sur le caractère artistique ou non de cette réalisation, mais tout simplement de donner la plus grande réalité possible à une entreprise entièrement fictive. Inséré dans un grand tableau généalogique retraçant l’histoire de l’automobile, l’Aérofiat ne fait pas figure d’intruse, loin de là. Existant réellement, garée sous nos yeux, elle a même une existence plus avérée que certains prototypes qui ont effectivement été inventés dans les années 30 ou 50.
Ainsi, après avoir enfanté Glooscap, ville fictive située dans un lieu réel de la cartographie canadienne, Bublex a ouvert en 1995 avec Aérofiat un nouveau dialogue vertigineux entre la fiction et la réalité. Mais avec ce prototype, il rejoint également une part de son histoire personnelle : « Après de vagues études aux beaux-arts de Mâcon, je suis rentré à l’Esdi, une école de design, puis j’ai travaillé comme designer industriel pour la régie Renault. » Né en 1961 à Lyon, Bublex n’est passé qu’en 1991 du statut d’accident industriel à celui d’artiste : « Chez Renault, j’ai participé à des projets automobiles, disons en gros de la Clio à la Scénic. Moi, je dessinais des voitures déjà usées, avec des sièges enfant à l’arrière et une carrosserie amochée. C’est important de savoir ce que deviendra un prototype. Mais chez Renault, mes travaux n’intéressaient personne, et aucun de mes projets n’a été retenu. C’est un peu pour cela que je suis parti, parce que j’en avais marre de voir ce travail se perdre au nom de critères financiers. » Ne nous y trompons pas : la pratique artistique n’est pas pour Bublex un refuge, une vengeance, et encore moins une séance de rattrapage. Juste un espace de liberté, un lieu où confronter la réalité et l’imagination.
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