Memphis, ses studios Sun et Stax, son Graceland, son Elvis Presley Boulevard, sa Beale Street, son hôtel Peabody… Memphis, berceau ardent de toute la musique américaine des soixante dernières années. Avec Éric Mulet, on est venus rencontrer Al Green, crooner soul à la voix de miel, frère sourire du rhythm’n’blues, collectionneur de ballades sexy ayant […]
Memphis, ses studios Sun et Stax, son Graceland, son Elvis Presley Boulevard, sa Beale Street, son hôtel Peabody… Memphis, berceau ardent de toute la musique américaine des soixante dernières années. Avec Éric Mulet, on est venus rencontrer Al Green, crooner soul à la voix de miel, frère sourire du rhythm’n’blues, collectionneur de ballades sexy ayant oeuvré au rapprochement des corps et à la circulation des fluides (Let’s Stay Together, Tired of Being Alone, I’m Still in Love with You…), qui sort l’excellent Gospel Soul en cette année 1993.
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Nous passons d’abord voir Willie Mitchell, producteur de Green, au mythique studio Hi. Dans ce bouge sombre d’un quartier déshérité (moquette élimée, odeur de renfermé, toiles d’araignées au plafond crevé) se sont écrites quelques-unes des plus belles pages de la soul. Le fameux son Hi d’Al Green, Ann Peebles ou Syl Johnson a été sculpté là par Mitchell: batterie mate, cuivres cisaillants, cordes satinées, mid-tempos languides réglés sur le rythme de la baise, à la croisée de la rusticité Stax et du confort Atlantic.
Le vieux Willy étant aussi loquace que Ryan Gosling dans Drive, nous filons à l’église baptiste de Memphis Sud où nous attend le révérend Al Green. Chanteur, pasteur, chef d’entreprise, Green nous reçoit dans ses bureaux attenants. Pendant plus d’une heure, il nous raconte son enfance dans le Michigan, sa découverte de la musique par Elvis Presley et les shows country du Grand Ole Opry (« J’avais en tête toutes ces mélodies et je pensais qu’elles étaient superbes, joyeuses, heureuses »). La différence entre Hi et Motown : la condition noire aux États-Unis (« Que je fasse activement de la politique ou non, en tant que Noir, je faisais automatiquement partie du Mouvement des droits civiques »), la qualité de la vie à Memphis, son rapport ambivalent au rap (« Je ne vois pas pourquoi un homme qui aime une femme l’appellerait par tous les mots grossiers du dictionnaire. Mais du point de vue de l’innovation sonique, le rap est génial »), sa révélation religieuse (« Comment pourrais-je expliquer des choses qui relèvent du divin ? ») ou sa conception de la relation entre le charnel et le spirituel (« Qui a dit ‘soyez productif et multipliez-vous’ ? Dieu, à Adam et Ève »). Il nous explique qu’une hôtesse de l’air l’ayant reconnu un jour dans un avion lui a montré la photo de sa fille et lui a dit : « Voilà ce que vous avez fait. » L’hôtesse avait rencontré son homme et couché avec lui grâce aux chansons moites du crooner-curé.
Pendant plus d’une heure, Al Green parle sans répit, chante divinement entre deux phrases et sourit tout le temps. Ensuite, pendant que Mulet le shoote devant l’église, des passants reconnaissent le révérend: sourires, claquements de paumes, autographes. « Une religion qui gonfle les moteurs et soulève les jupes des filles », a un jour écrit Yves Adrien, évoquant le déferlement en « force sainte » du rock dans les années 50. Si la soul est la musique de l’âme, c’est selon lui une vision de l’âme qui n’oublie jamais le bas-ventre. Nous quittons la Bethléem du rock, du blues et de la soul en étant convertis au gospel selon Al Green.
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