« Maison des jeunes » est le dernier album collégial, au Mali, de Damon Albarn et de son collectif Africa Express : entre refuge et laboratoire, une compilation vraiment réussie. Critique et écoute.
Il y a un an, la chanteuse tombouctienne Khaira Arby, en exil à Bamako, évoquait la situation dramatique de ses proches restés au Nord. Notamment celle de ses musiciens qui, le 1er avril 2012, jour où les djihadistes s’emparèrent de sa ville, fuirent en brousse pour enterrer leurs instruments. Toute musique étant haram (illicite) pour les adeptes de la charia, leur vie en dépendait.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
S’il ne fallait s’intéresser qu’au seul contexte, Maison Des Jeunes serait déjà un événement. Au lendemain d’un conflit dont les braises restent actives, une dizaine d’artistes originaires de Tombouctou (comme Songhoy Blues) ou d’ailleurs, tous reflétant une part de cette diversité qui fait du Mali un confluent culturel d’une rare fécondité, se retrouvent sur un même album, à l’initiative de Damon Albarn.
Le fièvre créative d’Albarn à l’oeuvre
L’ancien chanteur de Blur et de Gorillaz n’en est pas à son coup d’essai africain. En 2002, il inventait le concept de journal de bord musical avec Mali Music, bricolé au cours d’un premier voyage au moyen d’un laptop. Depuis, il a monté la tournée Africa Express et renouvelé au Congo l’expérience du disque collégial conçu sur place en quelques jours.
En octobre dernier, il retourne à Bamako accompagné d’une poignée de good fellows dont Brian Eno, Nick Zinner de Yeah Yeah Yeahs, Olugbenga Adelekan de Metronomy et le chanteur Ghostpoet… La petite troupe prend ses quartiers à la Maison des Jeunes de Bamako, version malienne de nos défuntes MJC, où commencent à affluer des artistes sans pedigree au regard de ce que pèsent les toubabs (les Blancs). Quelques répétitions plus tard, des collaborations se dessinent, un répertoire se met en place et ce qui (au vu des conditions aléatoires de quasi-improvisation) aurait pu tourner au concours de branlette bicolore sous les manguiers, se change en petite corne d’abondance.
Une approche de l’autre sensible et imaginative
Il y avait du pari casse-gueule dans cette entreprise transcontinentale, celui d’une alchimie forcée, d’un speed-dating foiré. Maison des jeunes nous convie en réalité à un échange authentique, une succession d’instants intelligents, épanouis, parfois visionnaires. Les attelages, bien que hâtivement composés, fonctionnent, révèlent à chacun une approche de l’autre sensible et imaginative. Parmi les plus évidentes réussites de ce florilège figure la performance de Bijou, chanteuse du groupe Tchoundé Blu, qui sous la patte sans surcharge d’Albarn producteur se fend d’une magnifique complainte habillée de quelques strates de synthé et d’une simple sanza.
Il y a le bagout lancinant de Ghostpoet qui roule la mélancolie de Season Change sur le bois des tambours envoûtants de Doucoura. Il y a cette reprise du Yamore de Salif Keita par Kankou Kouyaté (nièce de Bassekou Kouyaté) qui, tout en évitant l’hystérie vocale dont se gargarisent trop souvent les griottes, conserve puissance et émotion. Et puis encore ce Rapou Kanou du rappeur Tal B Halala, qui balance un flow d’une poignante véhémence “scénarisée”, plus que sonorisée, par le producteur londonien Two Inch Punch.
Entre Soubour, boogie nordiste de Songhoy Blues, et Denko Tapestry, instrumental endiablé produit par un Brian Eno oeuvrant a minima, c’est un interventionnisme technologique respectueux de la singularité de chacun qu’abrite cette Maison des jeunes, envahie par la lumière de miel comme par l’âcre odeur de charbon brûlé de la ville. De l’anti-world-music en quelque sorte, pour un recueil qui pourrait faire date.
{"type":"Banniere-Basse"}