Il est Hamlet dans The Tragedy of Hamlet mis en scène par Peter Brook. Un Hamlet inoubliable, éblouissant, unique. On le verra fin janvier sur les écrans dans un autre Shakespeare, réalisé par Kenneth Branagh : Peines d’amour perdues. L’acteur anglais Adrian Lester évoque ses choix, entre planches et pellicule.
Vous êtes acteur de cinéma et de théâtre. Mais je crois que vous faites du théâtre depuis longtemps. C’était quoi le théâtre pour vous quand vous avez commencé, le rêve de devenir acteur ?
Je fais du théâtre depuis 18 ans. Pour moi, la différence entre faire du théâtre et être acteur, c’est une question d’entraînement car le théâtre nécessite une dépense musculaire très importante puisque on s’entraîne tout le temps. Pour exprimer autrement cette différence, on pourrait la comparer à celle qui distingue un laser d’un canon : le film est beaucoup plus concentré, tandis que la scène explose.
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Y avait-il, et aujourd’hui encore, un type de théâtre que vous recherchiez, des écritures contemporaines ou classiques, des metteurs en scène, qui vous attiraient, ou était-ce avant tout l’idée du jeu qui vous motivait ?
Ce qui me motive, ça c’est facile : c’est le public, ce qui le touche. Mon travail, c’est de les toucher. Et comme acteur, je veux les toucher de la façon la plus forte. Il faut savoir et se rappeler que des pièces différentes nécessitent des méthodes différentes, mais le résultat recherché est toujours le même : toucher le public.
A Paris, on vous a vu dans deux pièces de Shakespeare. En pensant à la démarche d’Al Pacino dans Richard III y a-t-il une évidence à jouer Shakespeare, ou une difficulté particulière ? Je pense également au film de Kenneth Branagh qui sort en France fin janvier, Peines d’amour perdues, encore un Shakespeare. Quelle différence de traitement y a-t-il entre Kenneth Branagh et Peter Brook ?
La différence que je ressens entre Kenneth Branagh et Peter Brook réside dans leur méthodologie. Ils ont tous deux le même but : briser la glace avec le public, mais ils n’emploient pas la même méthode. C’est la difficulté du texte de Shakespeare qui fait glace. Chacun d’eux cherche à mettre en relation le public et ce texte afin qu’il puisse être compris et ressenti. Les deux sont formidables !
Vous tournez beaucoup en Amérique. Comment choisissez-vous vos films ? Est-ce le même moteur, désir, qu’au théâtre ?
Je cherche des uvres intéressantes, mais j’essaie de ne pas faire tout le temps la même chose, je ne supporte pas l’idée de l' »emploi » au cinéma, qui vous enferme dans un type de personange. Après avoir fait Hamlet, je n’aurais pas envie de faire un film où mon personnage jouerait un fou dans un asile. Si je fais ça, tout le monde me reconnaîtra comme celui qui joue le fou à longueur de temps. Donc, je m arrête et je prends quelque chose de nouveau. Ce que j’adore au cinéma, c’est que vous pouvez vraiment faire ce que le public vous voit faire, puisque vous ne le faites que trois ou quatre fois. Si vous devez tomber, vous allez vraiment tomber. Si vous devez vous frapper, vous allez vraiment vous taper dessus. Une pièce de théâtre vous fait travailler pendant trop longtemps pour tout faire ou refaire vraiment. C’est trop difficile.
En France, les jeunes acteurs disent ne pas faire de différence entre leur travail sur une scène de théâtre et un plateau de cinéma. Jouez-vous différemment quand vous devez être vu de tous les endroits d’une salle et quand c’est la caméra qui choisit l’angle par lequel on vous verra ?
Entre le cinéma et le théâtre, je ne vois pas vraiment de différence, sauf dans l’exécution. Au théâtre, l’entraînement est extrêmement contraignant. Trouver une réalité dans la répétition est très difficile. Par contre, je trouve que la mise en scène de Peter Brook est très « filmique ». La performance des comédiens ressemble beaucoup à celle d’un film.
Quand Peter Brook a monté le Mahabharata il y a une quinzaine d’années, il y avait une phrase que je n’ai jamais oubliée : « Qu’est-ce que la folie ? C’est un chemin oublié. » Comment voyez-vous la folie d’Hamlet ?
La folie est une déviation émotive de ce qu’on pense être normal. Dans Hamlet, il y a beaucoup de formes de folie : la folie de la colère, celle qui est feinte, parmi d’autres… J’aime bien les fois où Hamlet ne sait pas exactement à quel point il est fou. Après avoir tué Polonius, il se demande s’il faisait semblant d’être fou ou non. Si je réponds définitivement à la question, je ferme la porte sur ce à quoi Shakespeare ne voulait pas répondre.
Par quels chemins Peter Brook vous a-t-il fait passer pour restituer la totalité des actions de la pièce tout en coupant généreusement dans le texte, en remaniant l’ordre des scènes ? L’a-t-il fait avant le début des répétitions ou en travaillant avec les acteurs ?
Le changement du texte a eu lieu pendant les répétitions. Peter voulait être sûr de garder les extrêmes des personnages, qu’ils soient visibles sans trop les déranger. Il voulait garder la tristesse et la tranquillité juste à côté de la colère et de la folie. Dans certaines phrases, il voulait tout garder, l’amour juste à côté de la haine. En ce qui concerne Hamlet, sa haine et son amour sont plus forts que ceux de tous les autres personnages. Donc, mon travail consiste à relier tous ces extrêmes.
On comprend qu’Hamlet ait un compte à régler avec sa mère, mais comment expliquez-vous son attitude vis-à-vis d’Ophélie ? Est-ce une attitude typique de mélancolique ?
Non ! Si l’on se réfère à la Bible, sa mère a commis un pêché en épousant le frère de son mari, moins d’un mois après son veuvage. Avant, Hamlet l’admirait, mais elle tombe dans son estime dès qu’elle se marie avec son oncle. Dès lors, il considère que toutes les femmes sont pareilles : elle font semblant d’être gentilles. Il ne leur fait pas confiance.
En fait, Hamlet ne fait plus confiance à personne. Il met à l’épreuve Horatio, et Horatio tombe. Il met à l’epreuve Rosancrandts et Gildenstern et ils tombent. Enfin, c’est Ophélie qui tombe. Donc, pour Hamlet, la seule chose qui soit vraie et honnête dans ce monde décevant, c’est notre commune mortalité. Le squelette est vrai. Après tous les mensonges, seul reste le squelette. Peter Brooks s’intéresse à cette vérité, à cette honnêteté. Au centre de cette uvre, il existe pour Hamlet cinq questions fondamentales sur la nature de l’amour, de la confiance, de l’honneur, des actions justes, et de la vie. Pour moi, en tant que comédien, c’est très difficile puisque nous nous posons tous ces mêmes questions dans nos vies. Et si vous décortiquez tous ces thèmes, la question reste toujours : comment les remettre ensemble après ? Hamlet est au centre d’un croisement de triangles :
Sa mère-Ophélie/La terre-Hamlet-La mort-Dieu/Son père-Son oncle.
Hamlet saute entre ces triangles, passe d’un point à l’autre et il les questionne. Il regarde sa mère et son père. Puis il regarde la mort et son père. Ensuite, son oncle et Ophélie. Et ainsi de suite, inlassablement, jusqu’à la fin de la pièce
Traduction : Avery Rueb
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