« Lights’ out tonight, trouble in the heartland/ lumières éteintes ce soir, problème le pays profond” (Badlands) Le décès de Clarence Clemons, c’est la nuit qui tombe sur Asbury Park, l’accident fatal sur la highway 9, un flot d’amères « teardrops on the city ». Trois ans après la disparition de Danny « the phantom » Federici d’un cancer de […]
« Lights’ out tonight, trouble in the heartland/ lumières éteintes ce soir, problème le pays profond” (Badlands)
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Le décès de Clarence Clemons, c’est la nuit qui tombe sur Asbury Park, l’accident fatal sur la highway 9, un flot d’amères « teardrops on the city ». Trois ans après la disparition de Danny « the phantom » Federici d’un cancer de la peau, c’est peut- être aussi la panne finale du E Street Band, l’un des plus formidables moteurs V8 de l’histoire du rock.
Privé du piston Clemons, on voit mal comment cette puissante machine taillée pour avaler les miles et les heures de concert pourra ronronner aussi amplement.
L’arrivée du Big Man dans la galaxie Springsteen a été amplement commentée dans divers articles, interview ainsi que dans la chanson 10th avenue freeze out: un soir d’orage en 1971, Clemons fait irruption dans un club d’Asbury Park, et croise le jeune Bruce pas encore Boss. Ils se toisent, jamment et c’est le début d’une aventure au long cours, quarante années de légende sur la crête du rock américain.
http://www.youtube.com/watch?v=e5buOHjOGiI
Dans la mixture springteeenienne qui prend forme, entre Bob Dylan, Van Morrison et Roy Orbison, Clemons et son gros saxo apportent la soul touch, le grain rythm’n’blues, la sensualité nègre.
Soufflant comme un King Curtis XXL (Born to run, Thunder road, Badlands…), tel un mammouth de Monmouth (chef-lieu de leur comté du New Jersey), le Big Man était aussi capable de subtilités jazzy (Spirit in the night), de lyrisme grand vent (le fameux solo de Jungleland), voire de douceur west coast (la coda de Dancing in the dark, dans la lignée Stan Getz, Gerry Mulligan).
http://www.youtube.com/watch?v=7DAsVZkoR6c
Mais le rôle de Clemons dépassait de loin le strict aspect musical. Comme vient de le dire Springsteen:
« Avec Clarence à mes côtés, mon groupe et moi avons été capables de raconter une histoire beaucoup plus profonde que celles que recelait notre musique ».
Cette histoire plus profonde, c’est celle de l’Amérique des années 60 et 70 post-Malcolm X et post-Luther King, celle de la conquête des droits civiques et de la lente normalisation des relations inter-raciales. Il faut d’ailleurs rappeler qu’à une époque (les années 72-75), avec David Sancious et Ernest Carter, il y avait trois noirs aux côtés de Springsteen, faisant du E Street Band une des rares formations américaines ethniquement mixtes, dans la lignée de Sly and the Family Stone.
Ainsi, comme Laurel et Hardy, Arlequin et Pierrot ou Omar et Fred, Bruce Springsteen a fait de Clarence Clemons son alter ego scénique, son partenaire de show, faisant circuler la blood brotherhood entre le petit blanc râblé et le grand noir.
Ce théâtre d’amitié, de fraternité, de complicité n’était jamais mieux mis en scène que durant la chanson Thunder road où le Boss finissait à genoux devant le Big Man, puis lui roulait un patin.
Quand Springsteen présentait son Band à la fin des shows, il terminait toujours par son cher saxophoniste, favori du public, faisant monter en neige le faux suspens (« Qui ai-je oublié ? » clamait-il trois, quatre, cinq fois, et la foule de répondre en hurlant, « Clarence ! »).
Pour résumer le lien qui unissait le chanteur et son souffleur, il suffit de regarder la pochette de Born to run : noir et blanc, sax et fender, rock et soul, le petit roseau qui s’appuie hilare sur le chêne massif, tout est dit.
Comment le Boss va gérer l’après-Clarence, c’est la prochaine question. Clarence Clemons a joué aussi avec Ringo Starr, Aretha Franklin, et plus récemment Lady Gaga. Mais c’est avec la bande à Springsteen qu’il s’est accompli, y inscrivant ses plus belles pages, prolongeant une certaine idée du rêve rock au-delà de ce qu’on croyait possible, jusqu’à cette tournée 2009 où les gars ont prouvé que le E Street bandait encore très fort. Adieu Clarence, et merci pour tout.
« There’s something dying on the highway tonight / Quelque chose se meurt sur l’autoroute ce soir. » (The Promise)
Serge Kaganski
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