Bande dessinée, cinéma, musique : Adam Green bondit tranquillement d’un domaine à l’autre et donne vie à ses idées les plus folles. Rencontre avec cette figure de l’anti-folk pour “Engine of Paradise”, l’un de ses meilleurs albums.
A peine a-t-il le cul posé devant ses œufs au bacon qu’il repart chercher un truc. Cinq minutes de discussion avec Adam Green, c’est 5000 signes de conversation à retranscrire et un journaliste désemparé. Le type ne tient pas en place, son cerveau est une centrifugeuse qui déverse un flux discontinu d’idées, d’anecdotes et de théories plus ou moins branlantes du genre : “Etre artiste, c’est être allergique au monde ; ton devoir est d’inviter une nouvelle version de ce monde quand l’ancienne te file la gerbe.”
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Tiens, le voilà de retour avec quelques planches de bande dessinée sous le bras et un téléphone : “C’est un roman graphique, il s’intitule War and Paradise. Je l’ai fait avec deux amis : Toby Goodshank, qui jouait avec moi dans les Moldy Peaches, et Tom Bayne. Ça parle d’une guerre épique entre les humains et des créatures cybernétiques et futuristes formant une nouvelle forme d’intelligence artificielle appelée INSEX. Un énorme clash des civilisations s’ensuit, la seconde partie parle de la vie après la mort.” Sa façon à lui de revisiter la fameuse thèse de Samuel Huntington avec une sorte de récit shakespearien postmoderne, dans une ambiance psychédélique et médiévale.
Des humains partouzent avec des robots-insectes
War and Paradise doit accompagner la sortie d’Engine of Paradise, son nouvel album. Le premier depuis Aladdin (2016), qui se déclinait aussi en un film que l’on aurait dit tourné au cœur d’une œuvre de Jean Dubuffet et au générique duquel figurait une flopée de potes du New-Yorkais, dont Macaulay Culkin, Binki Shapiro ou encore Devendra Banhart.
“Au début, je pensais faire un nouveau long métrage, et toutes ces chansons auraient pu en être la bande originale, mais ça aurait coûté trop cher. Je n’avais pas besoin d’un budget pharaonique non plus parce que j’aurais tout fait en papier mâché, mais ça aurait été compliqué à monter et je ne sais pas qui dans le business du cinéma aurait payé pour ça.”
Le papier mâché, cette obsession qui lui permet de donner corps aux idées les plus foutraques qui traversent sa caboche d’ancienne petite star de la scène anti-folk new-yorkaise. A bientôt 40 ans, l’ex-Moldy Peaches qui chantait Downloading Porn with Davo en duo avec sa comparse Kimya Dawson et « I like to Do Drugs » sur l’album Jacket Full of Danger (2006) est doublement père de famille.
Deux bonnes raisons de s’assagir un peu, même si les nuages qui traversent le ciel de Regular Town, la ville imaginée dans War and Paradise, ont des pénis turgescents et que les humains partouzent avec des robots-insectes : “J’avais 17 ans quand j’ai entendu pour la première fois Mutations de Beck. Je me souviens m’être dit : ‘Damn ! En ce moment, quelque part dans le monde, le mec qui a créé ce chef-d’œuvre est en vie !’ Ça m’a complètement inspiré, nous dit-il en faisant défiler sous nos yeux un tas de phrases retranscrites sur le bloc-notes virtuel de son smartphone. A partir de ce jour-là, je me suis dit que j’allais montrer aux gens les mécanismes de mes paysages intérieurs. Et depuis je note chaque fulgurance que j’ai en tête.”
Une scolarité partagée entre musique noise et effluves de weed
A l’école, tout kid qu’il est, Adam Green rêvasse beaucoup en cours. A tel point qu’il se souvient des rappels à l’ordre de sa prof d’anglais qui résonnent encore comme un gimmick : “Earth to Adam !”, que l’on pourrait traduire en français par “Allô Adam, ici la Terre !” A l’époque, il accouche même d’une bande dessinée entière en classe de mathématiques, qu’il décrit comme étant dans la veine de l’épopée d’Alfred Jarry Ubu Roi et joue de la musique noise en fumant de la weed.
Aujourd’hui, il passe beaucoup de temps chez lui avec ses gosses. Etre musicien n’oblige pas à quitter la maison au quotidien pour aller au boulot : “Créer me prend deux fois plus de temps maintenant, je ne peux plus être égoïste, ça ne peut plus marcher comme ça. Mais j’ai de la chance : quand j’ai une minute, vuuuup ! je file dans mon monde, complètement déconnecté de tout. Pas de règle, c’est un endroit pur. Et quand il faut redescendre, vuuuup ! je reviens et je m’occupe du goûter.”
Pas donnée à tout le monde cette capacité de s’éloigner des rivages désolés du monde réel sans jamais perdre pied, surtout quand on a l’esprit aussi haut perché et une conscience aiguë du vide de l’époque. Beaucoup se sont tiré une balle pour moins que ça, tandis que d’autres naviguent dans l’hyperespace en sniffant de la colle avec les Space Ducks de Daniel Johnston.
Adam, lui, continue d’avancer, jette un regard désabusé sur le monde et relit Actual Air, le recueil de poèmes du regretté David Berman. Mais, Dieu merci, Adam garde la même lueur dans le regard qu’il avait quand, petit, il voyait Garfield et Big Bird à la télé. Avec Engine of Paradise, il explore les espaces dépeuplés de sa psyché et sort l’un de ses meilleurs disques depuis Minor Love, son hit rock bottom album de 2010 qui le rapprochait le plus de Silver Jews.
“Les gens de mon âge sont capables d’écouter Madonna et Nirvana, et je ne comprends pas comment c’est possible. Madonna ruine la musique. Quand j’ai découvert l’indie-rock et Mutations, ce n’était pas envisageable d’écouter aussi Jessica Simpson. On dirait que le monde est devenu un endroit génial, où tout le monde est génial et où chacun est le meilleur. Selon moi, seulement certaines choses sont géniales. Mais peut-être que si je prenais de la MDMA je trouverais tout génial aussi…” Suit une absence de trente secondes ; où était-il barré encore ?
Album Engine of Paradise (30th Century Records/Proper)
Concert Le 25 octobre à Paris (Gaîté Lyrique)
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