Rencontre passionnante avec l’un des songwriters essentiels de l’Amérique moderne, l’ex-Moldy Peaches dont l’excellent album « Sixes & Sevens » vient de paraître.
Quelques semaines avant la parution de Sixes & Sevens, son cinquième album, nous avions rencontré Adam Green, ex-Moldy Peaches devenu en solo un des songwriters essentiels de l’Amérique. Généreux et sympathique, l’artiste revenait pour nous sur l’enregistrement de son disque et l’évolution de sa carrière.
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Jacket Full of Danger est paru il y a deux ans. Jusque là, tu nous avais habitués à un rythme plus soutenu. Comment expliques-tu cela ?
Jusqu’à présent, je composais un album tous les ans. Je n’arrive pas à comprendre comment il peut en être autrement. Il y a 365 jours par an et une quinzaine de chansons par album. Pourquoi les artistes n’arrivent-ils pas à écrire une chanson par mois alors que c’est leur boulot? Que font-ils de leur vie ? Mon ancienne méthode m’a toujours convenu, j’étais constamment en tournée, je jouais mes morceaux en live donc je savais ce qu’ils donnaient et je pouvais les enregistrer très vite : ils auraient été identiques si on les avait enregistré pendant un concert. Alors qu’aujourd’hui, je vais[attachment id=298] avoir pour la première fois à me poser la question « comment je vais jouer ces morceaux sur scène ? »
Pourquoi as-tu décidé de prendre ton temps ?
Ma maison de disque a estimé que je faisais trop de disques à la suite et m’a demandé de prendre mon temps. Auparavant, j’avais en gros trois semaines pour enregistrer un album entre les tournées. Je n’avais jamais passé plus de 20 jours en studio. Cette fois, j’ai pris un an et demi donc j’ai eu une démarche très différente. J’ai passé plus de temps sur un seul morceau que je n’en passais sur un album entier. Je n’ai jamais été un adepte du stakhanovisme quand il s’agit d’écrire des chansons. Une ligne tous les deux jours, et après quelques semaines, ça donne une chanson! Lentement, mais quotidiennement. J’ai dû enregistrer les morceaux très lentement, en dessiner les grandes lignes, les écouter et avoir le luxe d’y ajouter des choses. Je les ai laissées s’arranger d’elles-mêmes plutôt que de les arranger moi-même.
Où l’enregistrement a-t-il été effectué ?
La femme d’un de mes amis dirige une école pour enfants autistes et m’a proposé d’utiliser gratuitement une des salles de l’école pour y enregistrer. Je suis parti en train de New-York pour le New Jersey. L’école était vraiment au milieu de nulle part, dans les bois. On a passé pas mal de temps à fumer des cigares et à jouer dans la cour de récréation. La majorité des chansons de l’album ont été enregistrées tard dans la nuit, vers 4 heures du matin. Ca donne[attachment id=298] peut-être quelque chose à l’album. Pour les autres albums, nous étions très sérieux, nous buvions du thé, pour celui-là, nous avons été beaucoup moins sérieux. Le fait d’être dans l’obscurité nous a influencés.
Tu es accompagné d’une chorale gospel sur ce disque…
Ma première envie était de chanter le plus fort possible, à la manière de Janis Joplin. Ma petite amie m’a dit que c’était merdique. Et puis après quelques essais j’ai pensé à faire l’inverse, chanter le plus doucement possible, et ça a fonctionné. Cela ajouté aux chanteurs gospel a fait de cet album ce qu’il est. Je n’avais jamais travaillé avec des chanteurs gospel mais là, j’avais du temps et j’ai toujours pensé qu’il y avait de la place au dessus de ma voix grave, un espace à combler que j’avais rempli dans mon précédent album avec des cordes. J’ai pensé à des chœurs pour celui-là. Il n’y a pas d’intérêt à écrire une chanson si elle ne propose pas quelque chose de nouveau. Je voulais aller voir ces filles qui chantent dans une église à Brooklyn, et finalement, le producteur les a fait venir. Pendant trois jours, nous somme juste restés à les écouter chanter. Le premier jour, elles ont été très surprises, elles m’ont trouvé très bizarre. Je pense qu’elles m’imaginaient beaucoup plus vieux. Surement à cause de ma voix. Elles pensaient que j’avais une quarantaine d’années. La voix ne collait pas avec la tête que j’ai. Bref, ça a été vraiment bien. Je pense qu’au final nous y avons gagné quelque chose.
Tu es déjà habitué aux collaborations, notamment avec les Moldy Peaches…
Nous étions un groupe donc nous écrivions les chansons ensemble, c’était différent. Ca me semble toujours étrange de savoir que dans certains groupes une seule personne écrit pour les autres. Nous étions une équipe, en collaboration.
Tu as déjà une longue carrière derrière toi, avec plusieurs phases de création. Est-ce que c’est quelque chose de voulu ?
L’album Friends of Mine, sur lequel il y avait des cordes a été le début de la phase 2 de ce que j’avais entamé. L’idée d’ajouter des choses à ma musique. J’ai pensé rock indé, Jon Spencer, Sebadoh, Beck… et j’ai essayé de tuer cela en moi. J’ai commencé à en avoir marre. Alors j’ai écouté des vieux disques. Il y avait tellement de choses que je pouvais faire plutôt que du rock indé. Il faut se souvenir que j’avais douze ans quand j’ai commencé avec les Moldy Peaches. Je n’ai que 26 ans, mais ça fait une longue période : 9 ans, jusqu’à mes 19 ou 20 ans. J’étais vraiment dégouté et je voulais que ça cesse. Ma démarche a simplement été d’appliquer des règles strictes à mon écriture, de repenser mon approche du chant, la qualité de mes mélodies, l’instrumentation, d’essayer d’utiliser des sections rythmiques qui fassent plus « cabaret », des choses que j’avais entendues dans les disques de Jacques Brel ou de Franck Sinatra, Scott Walter, Elvis. Tout ce que je n’aurais jamais associé avec la scène de branleurs folk. Je m’intéressais à la manière dont Roy Orbison a fait ses disques, à la manière dont on écrit des morceaux qui deviennent des classiques, à la musique traditionnelle. J’ai toujours essayé d’éviter l’écriture cliché classique. Je veux que ce soit naturel et que ça vienne de moi. Que ca vienne de mon inconscient.
Aujourd’hui comment te sens-tu ?
Maintenant que j’ai fait tout ça, les tournées, les albums, je peux me détendre, je ne hais plus la musique et je ne vais plus appliquer tant de règles à mon écriture. Je voudrais utiliser ce que j’ai appris des autres, mais je ne veux plus être aussi cruel envers moi-même. Parce qu’au final, je ne sais même plus d’où sortent ces règles.
Qu’as-tu écouté récemment ?
Don Cherry. Pearls Before Swine. Du free jazz… je n’en ai jamais été fanatique, mais je dirais quand même Sun Ra pour sa sensibilité mélodique. J’aime les banjos, les sitars. Il y a quelques années, quelqu’un m’a joué des chansons de Don Cherry. J’ai aimé sa manière de placer les instruments. Et j’aime les disques des années 20 et 30 du monde entier. La musique caribéenne, les chœurs Coréens…
La chronique de Sixes & Sevens
Interview éditée par Hélène David.
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