Un morceau datant de 2009 et promouvant le viol a valu au groupe nantais du même nom de voir son concert prévu à La Mécanique ondulatoire (Paris, XIe), vendredi 27 mars, annulé, sous la pression d’une association féministe.
L’histoire aurait pu être anecdotique si elle n’avait pas soulevé, une fois de plus, la question de la liberté d’expression et de création. Un groupe de punk-oi! nantais répondant au doux nom de Viol devait jouer vendredi 27 mars dans le bar-salle de concerts parisien La Mécanique ondulatoire (XIe) dans le cadre d’une soirée en partenariat avec Noisey, site d’infos musicales affilié à Vice. Sauf qu’en sus de s’appeler Viol, le groupe est l’auteur d’un morceau aux paroles très violentes, sorti en 2009, qu’on vous reproduit ci-dessous:
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« Petite bourge endimanchée,
Tu contournes les rues mal famées.
Préparée pour ton blaireau de copain,
Prépare-toi à encaisser mon gourdin !Dans la rue tu m’as provoqué ;
Petite pute à souliers !
Tu pensais te faire sauter par ton mec,
Mais dans une poubelle je vais te prendre à sec !Viens, connasse !
Ici, dans ta face !
Ouvre-toi, putain !
Le viol, mon instinct !Comme c’est bon de te violer,
Toi qui ne m’étais pas destinée.
Tu chiales, affalée dans mon sperme !
C’est ta faute, alors tu la fermes ! »
Après avoir été relayées sur Facebook et Twitter, les paroles ont été publiées sur le site des Effronté-e-s. Dans son communiqué, l’association féministe et LGBT dénonce le fait que « l’incitation au viol en musique [ait] pignon sur rue à Paris » et appelle la direction de la Mécanique ondulatoire, la Mairie de Paris ainsi que le secrétariat d’Etat en charge des Droits des femmes à interdire l’événement et « les productions d’un groupe qui porte comme nom une incitation au crime« . Osez le féminisme leur a apporté son soutien en les retweetant.
@Helenebidard – L’incitation au viol en musique, pignon sur rue à Paris ! https://t.co/Bwvq3oddbE
— Les efFRONTé-e-s (@efFRONTees) 24 Mars 2015
Hélène Bidard, adjointe à la Mairie de Paris en charge de l’égalité hommes-femmes, a immédiatement contacté les services juridiques de la ville et rédigé un courrier à destination de la Préfecture de police afin de faire interdire le concert pour « troubles à l’ordre public ». Mais elle n’a pas eu le temps de l’envoyer: l’événement a été annulé par les organisateurs. Une décision saluée par Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des Droits des Femmes, sur Twitter:
Concert du groupe « Viol » à Paris, je me suis entretenue avec @Helenebidard ce matin et je me réjouis que des solutions aient été trouvées — Pascale Boistard (@Pascaleboistard) 25 Mars 2015
Contactée par Les Inrocks, Hélène Bidard estime que les « paroles de la chanson ne sont pas acceptables« , et rappelle que « la liberté de tout dire s’arrête là où commence celle des autres« :
« Le viol est un crime puni par la loi. Ce n’est pas un sujet avec lequel on fait de l’humour. ça n’a rien de révolutionnaire ou de rock’n’roll. »
De même, Morgane Merteuil, porte-parole du Syndicat des travailleurs sexuels (Strass), rejette l’excuse de l’humour lorsqu’il s’agit des violences faites aux femmes : « Le simple fait de faire du second degré avec un sujet aussi sensible est déjà en soi, selon moi, une preuve de mépris à l’égard des femmes victimes de viol », nous écrit-elle.
« C’est une des possibilités de l’art, faire quelque chose de brut, choquant. »
Dans un post Facebook, Viol a invoqué le droit au second degré. Antoine Gicquel, programmateur de la salle, assure, lui, que « le groupe est dépassé« : « C’est une chanson qu’ils ne chantent plus depuis 2009. Ils s’étonnent qu’elle ait été exhumée. » Pour autant, son équipe et lui se disent « abattus » face aux mails d’insultes reçus, alors même que le lieu que l’on surnomme affectueusement « La Méca » se veut « un bar antiraciste, antifasciste, pro-LGBT, pro-libertaire et pro-féministe ». « Je comprends que ça puisse choquer » assure Antoine Gicquel.
[Mise à jour le 26 mars] Dans une interview à Noisey, le chanteur de Viol raconte avoir écrit la chanson avec son batteur et la copine de celui-ci en 2009, dans l’optique de « faire le truc le plus « abusé » possible »:
« À aucun moment je ne pense que les paroles de la chanson « Viol » soient crédibles ou excitantes, au contraire, elles te dégoûtent et te font te poser des questions plus qu’autre chose. (…) Le viol est une chose abjecte et c’est justement ça le but : écrire une chanson abjecte pour dénoncer le truc. C’est une des possibilités de l’art, faire quelque chose de brut, choquant. » estime-t-il
Au sujet des limites de la liberté d’expression et de création, Samuel prend l’exemple du film Irréversible de Gaspard Noé, qui met en scène une scène de viol insoutenable, mais aussi La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven, dans lequel « il y a des scènes qui te filent la gerbe, et alors ?« :
« C’est le concept, ce n’est pas ça qui va donner envie aux gens de violer ou de tuer des gens – ça aurait même plutôt l’effet inverse ! La fiction est toujours là. Le rapport à l’art dans la société est étrange ces derniers temps. »
Concernant la polémique dont ils sont l’objet depuis quelques jours, Samuel dit s’être senti « vite dépassé« : « Sans explication, je peux piger que ça puisse être choquant, mais vu l’audience qu’on a, d’habitude j’ai tout le temps de m’expliquer quand ça pose problème. (…) Pour être clair : je suis contre le viol, je trouve ça horrible et je suis désolé si j’ai pu choquer des gens qui n’ont pas l’habitude de côtoyer des groupes avec des concepts aussi violents. »
Le précédent Orelsan
A une échelle bien entendu moindre, cette polémique rappelle celle déclenchée par le Sale pute d’Orelsan. Sorti en 2007, le morceau n’avait fait scandale que deux ans plus tard, en 2009, poussant plusieurs festivals, dont Les Nuits botaniques de Bruxelles et Les Francofolies de La Rochelle à déprogrammer la venue du rappeur. Christine Albanel, alors ministre de la Culture avait dénoncé “une incitation à la violence contre les femmes”, tandis que Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes avait de son côté demandé s’il était « tolérable qu’un chanteur appelle au meurtre et à la violence contre les femmes, dans plusieurs chansons, qu’il menace de les ‘marie-trintigner’, de les ‘avorter à l’Opinel’« .
Orelsan, qui lâchait sur Sale Pute « on verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée/On verra comment tu suces quand j’te déboîterai la mâchoire« , avait expliqué qu’il s’agissait d’une fiction destinée à « montrer comment une pulsion peut transformer quelqu’un en monstre« .
Dans un tout autre registre, on peut également évoquer la fameuse Girlfriend de TTC, sur laquelle Teki Latex lâchait, entre deux « putes« : « Marche droit, Parle pas, Avale, Aboie ». La meilleure des réponses avait été fournie par un groupe alors inconnu, Yelle, qui avait balancé sur Myspace le désormais fameux Je veux te voir, dont le dernier couplet donne: « Cuiziner c’est toi que je veux voir/Que je veux voir ce soir/ Te faire ridiculiser par une fille qui rappe mieux que toi/ J’ai pas assez de mes 10 doigts pour les compter dans la salle/ Toutes ces filles coiffées comme moi qui savent ce que tu vaux a poil. » Belle réponse.
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