Rencontre avec Abigail Lane, la figure montante de la scène anglaise, à l’occasion de son inquiétante expo.
Samedi 4 octobre, fin de la folle semaine Fiac : on avait rendez-vous avec Abigail Lane à minuit et demi, au 91, quai de la Gare. L’artiste anglaise et un ami, Paul Fryer, avaient organisé un dîner-spectacle au titre hallucinant : The Complete Arthole present: The Great Stromboli and Silvia in Paris. Un mur constellé d’étoiles, des tables ornées de candélabres, et un spectacle donné par un couple de magiciens âgés, très marqués seventies et dont la présence ici avait quelque chose d’éminemment décalé : comme la rencontre du kitsch et du hardcore dans une salle des fêtes pour un film qui aurait pu s’intituler Ginger et Fred au pays de la techno. Plus tard dans la soirée, une jeune femme blonde, vêtue d’un slip rouge et portant un masque de cochon, accomplira entre deux paravents pourpres et délabrés un ultime strip-tease, sordide et drôle, inquiétant et potache. Bonjour l’ambiance savamment concoctée par l’artiste anglaise : « Dans ce show, il y a à la fois quelque chose de glamour et d’atroce, comme quelque chose qui s’effondre.«
On retrouvera Abigail Lane deux jours plus tard, vers midi, encore sur les rotules : un instant on se dit que la scène anglaise ressemble à ça, à une fête parfois glauque et remise de jour en jour. Née en 1967 dans le sud de l’Angleterre, vivant actuellement à Londres et passée par le Goldsmith’s College comme ses jeunes aïeux (Damien Hirst, Angela Bulloch, Gillian Wearing…), Abigail est un pur produit de cette scène. « Je vois Sarah Lucas ou Matt Collishaw presque tous les jours. Avec eux, Angela et les autres, on se connaît depuis dix ans. D’autres groupes éclatent, mais nous on reste soudés bien qu’on ait quitté le lycée depuis longtemps. Surtout, on a des personnalités souvent fortes, et très différentes. De même, nos parcours et nos oeuvres sont très variés. Mais on partage une vision commune.« A l’entendre, on comprend que la scène anglaise n’est pas seulement le regroupement médiatique de quelques artistes en vogue et de leurs copistes, et Abigail s’effraie du bruit fait autour de la scandaleuse exposition « Sensation » qui présente en ce moment à Londres la nouvelle génération d’artistes britanniques : « Ce n’est rien, ça, juste le rassemblement de quelques oeuvres d’artistes qui n’ont parfois rien à voir ensemble, juste un coup de pub qui permet à la Royal Academy de changer et de moderniser son image. »
Pendant notre conversation dans les sous-sols de la galerie Chantal Crousel à Paris, des râles métalliques se font entendre dans une des salles d’exposition et instaurent encore une ambiance pas réellement chaleureuse. Une cage ouverte laisse présupposer un lâcher de fauves, et dans un recoin sombre recouvert de terre on tombe sur deux chaussures en cuir prises dans un halo de lumière blanche et d’où s’échappent des volutes de fumée : comme si un être avait été désintégré, enlevé par des extraterrestres. A l’étage supérieur, un immense écran vidéo montre des oiseaux en train de battre des ailes, le tout sur une techno litanique, obsessionnelle. On est proche d’Hitchcock, et pas loin de Twin Peaks : « C’est à la fois sinistre et comique, naturel et surréel.« Campée au milieu de son univers étrange, Abigail Lane a le sourire : « Par le passé, je n’aurais pas été capable de faire quelque chose d’aussi fort. C’est la première fois que je ressens cela. Je suis heureuse de cette expo. » Etrangement, nous aussi.
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