Adopté par un Royaume-Uni jusque-là sourdingue à son plus courageux songwriter, Neil Hannon ne tombe pas pour autant dans la facilité. L’année 96 fut celle où le Royaume-Uni cessa de faire la sourde oreille aux sirènes divines de Neil Hannon. Par un effet de vases communicants qu’on aurait beau jeu de trouver paradoxal, il s’esquisse […]
Adopté par un Royaume-Uni jusque-là sourdingue à son plus courageux songwriter, Neil Hannon ne tombe pas pour autant dans la facilité.
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L’année 96 fut celle où le Royaume-Uni cessa de faire la sourde oreille aux sirènes divines de Neil Hannon. Par un effet de vases communicants qu’on aurait beau jeu de trouver paradoxal, il s’esquisse par chez nous une lassitude envers les comédies du personnage : concerts régulièrement approximatifs, cabotinage et numéro de duettiste hors sujet contribuèrent à crayonner sur le visage de ses premiers fans exclusifs cette moue du mépris qui préfigure les divorces orageux. En bref, certains attendaient la prochaine sortie du sieur Hannon gonflés d’une rancœur de cocus, prêts à lui faire payer comptant son évasion soudaine hors de l’enclos indie-misérabiliste qui lui tenait lieu auparavant de théâtre. C’est oublier un peu vite ce que Casanova et ses prédécesseurs se chargent de nous rappeler à chaque nouvelle écoute, à savoir l’écrasante domination de leur auteur sur une génération complète de songwriters britanniques. On mesure à chaque apparition le gâchis qu’aurait constitué le partage d’une telle abondance en si petit nombre, puisque Neil Hannon possède un réservoir de richesses dont on n’est pas à l’aube d’entrevoir le tarissement. Ainsi ce Short album about love qui, sur le papier, avait tout d’un exercice de style fumeux frisant la surenchère narcissique met-il moins de trente secondes pour se faire adopter sans condition. Personne, à l’exception du Scott Walker de ‘Til the band comes in, ne s’était aventuré à tailler de la sorte dans les grands falbalas de Broadway une étoffe à taille humaine. Neil Hannon, en qui cohabitent un vrai naïf risque-tout et un petit génie orgueilleux, n’hésite pas un instant devant le gigantisme de l’entreprise et triomphe au final de la gageure avec une décontraction qui va finir, à ce rythme, par friser l’insolence. En six compositions nouvelles agrémentées d’une version magistrale du Timewatching de Liberation, il ridiculise pour longtemps encore toute tentative annexe d’écriture pop pour grande formation. Car là où chez Scott Walker, à ambition similaire, on sentait déjà poindre la chute libre où la démesure des apparences faisait littéralement office de cache-misère , Neil Hannon n’a quant à lui jamais paru si radieux, prêt à soulever des chaînes de montagnes et à abattre des forêts avec un appétit de titan. Et l’imperfection chronique qu’il affiche hors des studios d’enregistrement, comme les détails peu gratifiants qu’il disperse sur sa vie privée, n’a au regard d’un tel chapelet de disques jouissifs et fondamentaux qu’une importance très relative.
Christophe Conte
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