Alain Chamfort : « Je garde de lui, au bout du compte, quelque chose d’assez heureux ».
Je me souviens avoir entendu Le Poinçonneur des lilas à la radio quand j’étais enfant. Après, je me souviens aussi de lui dans la période anglo-saxonne. Il passait à la radio, et moi je venais d’avoir un magnétophone et j’enregistrais les émissions Salut les copains. Il était programmé, le seul français de sa génération à être programmé dans une émission a priori réservée aux teenagers. Il passait à ce moment là avec Initials BB et Qui est in qui est out.
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Après, il y a eu toute l’épopée Melody Nelson, et toutes les chansons qu’il faisait pour les Numéro un, dont le spécial Bardot que j’avais vu à l’époque, et les chansons pour Petula Clark, La Gadoue, Les Petits papiers et plus tard, L’Homme à la tête de chou, peu de temps avant que je fasse appel à lui. Il n’était même pas extrêmement populaire comme pouvait l’être à l’époque un Léo Ferré ou un Brassens ou Brel. Il était dans une position très particulière parce qu’à la fois on le connaissait tout en sachant qu’il n’avait pas le droit à la reconnaissance du public, il ne passait pas sur scène, avait une carrière très parallèle finalement. Ça c’était avant que je le rencontre.
Je connaissais un peu Jane, parce qu’à l’époque j’avais fait toute une série de disques produits pas Claude François sur son label Flèche qui avait pas mal marché. Et quand je faisais de la promotion, je me retrouvais toujours à aller dans des émissions de radio. A l’époque on chantait pas mal avec d’autres artistes et à plusieurs reprises j’ai fait des émissions de radio où Jane était présente. Jane a toujours eu une envie de mettre les gens assez à l’aise.
J’étais ultra timide, mais elle était venue et on avait parlé un peu. Un jour on s’est retrouvés sur un plateau de télévision en Suisse et Serge était là. C’était la première fois que je le voyais, il accompagnait juste Jane, il n’était pas invité. Ça lui permettait de rester en coulisses, de déconner un peu avec tout le monde, de passer son temps au bar. On avait pris un pot avec lui, on avait parlé en racontant des bêtises, et puis j’avais trouvé que c’était quelqu’un de vachement accessible, qui avait un comportement simple et ouvert aux autres, donc ça m’a paru tout à fait envisageable après de le contacter pour lui proposer d’entendre mes musiques.
Ce que j’ai vécu avec lui ? et tous les gens qui l’ont approché à un moment donné ont dû ressentir ça ? c’est qu’il installait une complicité, il donnait des indications qui laissaient entendre que vous étiez quelqu’un à qui il pouvait se confier. Moi au début, je me disais que pour qu’il me raconte des choses sur sa vie intime, se laisse aller à des confidences, c’est qu’il m’estimait. Et après, je me suis un peu aperçu qu’il pouvait faire ça avec n’importe qui. Il rencontrait un flic un soir, il lui racontait sa vie aussi. Il avait vraiment besoin de séduire les gens, il savait qu’il le ferait par la parole, l’échange, il utilisait beaucoup ça.
Il avait beaucoup d’humour en plus, il installait des moments de complicité, se mettait facilement au niveau des gens. Si en face de lui, se trouvait quelqu’un qui allait un peu plus en profondeur, Serge pouvait donner le change. Par contre, s’il était avec quelqu’un de plus simple, il passait son temps à dire des bêtises. Je garde de lui, au bout du compte, quelque chose d’assez heureux. C’est le meilleur que j’ai connu que je conserve en moi. Nos chansons sont agréables, réussies, elles passent le temps, ne sont pas trop marquées par la mode, je suis vachement heureux qu’on les aient faites ensemble. Pas de regrets. Il n’y avait pas de possibilité de prolonger notre collaboration, lui n’en éprouvait plus l’envie, il n’était plus gérable pour personne, même avec les gens qui partageaient sa vie. C’était difficile de le contrôler, d’avoir de l’influence sur lui.
Le regret peut-être, c’est de ne pas l’avoir connu plus tôt, mais je n’étais peut-être pas prêt non plus. Quand on m’a demandé de reprendre une chanson de Serge, j’ai toujours pensé à En relisant ta lettre. C’est pas forcément la chanson que je préfère de lui, mais c’est un petit morceau de plaisir, de cynisme et malgré l’apparence désinvolte et plutôt misogyne, on devine en dessous que c’était un type meurtri. Sinon, j’aime bien La Valse de Melody, cette toute petite chanson sur Melody Nelson. Ce qui n’est pas toujours apparent pour les gens qui ne sont pas musiciens, c’est qu’il avait un vrai respect musical dans son écriture.
Il savait placer les mots sur la musique. L’écriture musicale ne peut provenir que d’un musicien, et c’est ça aussi qui faisait la particularité de Gainsbourg. Vers la fin de sa vie, il a du laisser aller, mais ce qui est drôle c’est qu’au moment où les chansons sortaient, il y avait un tel malentendu que les gens ne prenaient même pas la peine d’écouter. C’était Gainsbourg, c’était génial. On n’est pas objectif quand on a décidé que quelqu’un était bien.
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