En refermant un cycle, le troisième album de Miossec excite davantage l’oreille par ce qu’il annonce que par ce qu’il dévoile.
On sait que pour cause d’homonymie avec un film, A vendre, le troisième album de Miossec est devenu A prendre. Un changement non planifié, auquel on ne peut pourtant s’empêcher de donner un sens caché. Comme si, au dernier moment, la paire Christophe Miossec-Guillaume Jouan, titillée par la perspective d’un nécessaire déménagement musical, avait décidé d’annoncer encore plus nettement la couleur. A vendre, disque à débattre, est donc devenu A prendre, CD cédé à tout prix, pour mieux filer à l’anglaise, quitter ses bases.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sauf qu’en enfonçant les derniers clous d’une trilogie amorcée par Boire et Baiser, A prendre résonne autant comme un adieu que comme un faux départ. Miossec semble dans la position du type au bord de la rupture, déjà en partance mais encore retenu, qui engouffre ses affaires dans un sac mais ne peut s’empêcher de jeter deux ou trois coups d’oeil en arrière voir un titre communément rock comme Les Bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement, qui remue les braises de Boire sans en ranimer les sèches flambées. Ailleurs, l’odeur du changement parfume l’épiderme des chansons sans en imprégner complètement les chairs : les arrangements évoluent (piano, cordes, programmations) mais l’écriture musicale s’accroche souvent à une simplicité de principe qui peine à se remettre en cause. En choisissant le compromis entre le premier jet et le fignolage prudent, Miossec parfois se fait la belle en douceur (L’Assistant parlementaire, Le Voisin, Retour à l’hôtel), parfois s’enlise dans un tiède entre-deux.
Après avoir servi l’apéro (Boire) et les crudités (Baiser), on le sent hésiter entre recettes maison et cuisine nouvelle. Les mots eux-mêmes, toujours giflants, ont beau réussir leurs incursions sur des terrains jamais défrichés (La Maison, L’Assistant parlementaire), ils reviennent aussitôt à leurs vieilles obsessions glissades et gadins sentimentaux. C’est que la rage et l’âpreté ont aussi leurs habitudes, qui sont parfois les plus difficiles à dépasser. On voudrait parfois dire à Miossec et Jouan qu’il est possible de se raffiner en toute sauvagerie. Que, par exemple, les fumets bizarroïdes d’un Dick Annegarn sont mille fois plus dérangeants que les hymnes patates-fayots de Louise Attaque. Qu’il suffit juste parfois de tordre davantage la matière, de maltraiter les cadres. Le cul entre le tabouret malcommode des débuts et le canapé semi-convertible d’aujourd’hui, Miossec semble vaciller entre l’envie d’être plus riche et la trouille de sombrer dans le luxe.
Il faut attendre le terminal Au haut du mât pour que cet intelligent un peu brutal joigne vraiment les deux bouts de son identité : avec un morceau joué l’échine moite et le scalpel à la main, un truc aussi réfléchi que froidement craché qui sent la sueur comme le jus de crâne, la préméditation comme l’impulsivité. A prendre s’achève alors comme on aurait voulu qu’il commence. En attendant que l’aventure se joue, sans frein cette fois-ci, au prochain tournant.
{"type":"Banniere-Basse"}