Organisé sur le site idyllique de la Fondation Gulbenkian, le festival lisboète Jazz em Agosto offre un panorama de la scène jazz contemporaine dans des conditions idéales. Retour sur l’édition 2019 qui s’est déroulée du 1er au 11 août et dont émerge le concert électrisant du trio français ABACAXI.
S’il compte parmi les plus anciens festivals de jazz européens, Jazz em Agosto ne s’endort pas pour autant sur ses acquis mais maintient au contraire sa curiosité en éveil, à l’affût de formes vivantes ou innovantes. Après une édition 2018 entièrement dédiée à la constellation John Zorn, la notion de résistance a été choisie comme dynamique directrice de cette édition 2019, une manière pour les organisateurs d’affirmer distinctement leur volonté de défendre des musiques non-alignées, en rupture avec les codes dominants. La programmation s’est déployée sur deux longs week-ends (du jeudi au dimanche), le coup d’envoi étant donné avec un concert de Marc Ribot, grande figure de l’activisme expérimental et tête d’affiche du festival.
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Un beau jaillissement
Le second week-end – celui auquel on a pu assister – a notamment été marqué par le concert d’Ambrose Akinmusire, sur la scène du superbe amphithéâtre extérieur de la Fondation Gulbenkian, A la tête d’un ensemble mêlant un quatuor à cordes, un batteur, un pianiste et un rappeur, le jeune trompettiste noir américain a orchestré une interprétation live de son récent album Origami Harvest, sorti chez Blue Note en 2018 et salué comme l’un des disques jazz majeurs de l’année. S’il est apparu parfois un peu trop lisse, le melting pot musical proposé ici, au confluent de plusieurs sources et en résonance profonde avec la communauté afro-américaine, a néanmoins donné lieu à un beau jaillissement, conjuguant raffinement et frémissement.
On a été nettement moins conquis par les autres formations ayant joué dans l’amphithéâtre extérieur durant ce week-end. La foisonnante musique déversée par Freaks, le sextette du violoniste Théo Ceccaldi, a ainsi paru souvent très chargée, voire grandiloquente, grisée d’elle-même – quelques passages plus retenus faisant heureusement exception. Nouveau sextette mené par la guitariste américaine Mary Halvorson, Code Girl a, pour sa part, délivré un jazz-blues certes élégant mais trop sage et assez terne – le chant onctueux d’Amirtha Kidambi lui conférant un vernis exotique chic rédhibitoire.
Un total coup de foudre
De manière générale, on a connu des émotions beaucoup plus fortes dans l’auditorium 2, à l’intérieur de la Fondation Gulbenkian, dévolu à de petites formations et à des musiques plus aventureuses. Zeena Parkins, harpiste anticonformiste, et Brian Chase, batteur fureteur (ex-membre des Yeah Yeah Yeahs), y ont livré une performance en trois temps, chacun.e jouant d’abord en solo puis tous deux terminant le concert en duo. Tantôt méditative, tantôt impulsive, une expérience très suggestive.
Sur la scène de l’auditorium 2 s’est également illustré un autre duo, celui formé par Joey Baron et Robyn Schulkowsky, deux percussionnistes chevronnés venant de sphères différentes – lui du jazz et des musiques improvisées, elle de la musique contemporaine. Ensemble, chacun.e d’eux usant d’un style percussif particulier, tous deux privilégiant frôlements et frappes douces, ils s’attachent à développer un langage commun et à entretenir un dialogue tout en souriante vivacité. En filigrane de leurs échanges circule un bel éloge de la résistance non-violente.
Terminons avec le concert particulièrement intense du trio ABACAXI, qui réunit le guitariste Julien Desprez, le bassiste Jean-François Riffaud et le batteur Max Andrzejewski. Propulsant une musique tendue et épurée, nerveuse et frondeuse, dans le sillage cinglant de la no wave ou du post-hardcore à la Shellac, ils balafrent l’air de stridences électriques dont l’impact sur le public est encore accru par des rafales régulières de lumières stroboscopiques. Un total coup de foudre.