Formé juste avant la pandémie, le collectif intersectionnel Zone Rouge témoigne de la santé éclatante de la scène électronique nantaise actuelle.
Un des nombreux défis auxquels le collectif nantais Zone Rouge a dû faire face depuis sa création, c’est justement d’être parfois uniquement considéré à l’aune de cette notion même de collectif. Paradoxe s’il en est, surtout si l’on considère qu’un collectif est au moins autant l’émanation d’une somme d’individualités qu’une entité homogène qu’on voudrait trop souvent voir comme unie et indivisible. En ce qui concerne Zone Rouge, le dénominateur commun est d’apparence limpide : il est composé exclusivement de meufs, et globalement, leur club music tabasse. Mais encore ?
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Lancé en octobre 2019 par Anaëlle et Anaïs (alias Aasana et Soa de leur nom de DJ), qui prennent acte de la sous-représentation criante des femmes et des personnes racisées et non-binaires dans les sphères électroniques nantaises, Zone Rouge décide rapidement, à sa propre échelle, de prendre le problème à la racine en misant sur une direction artistique non-mixte. Après une paire d’années occupées à braver le Covid-19, à caler des émissions régulières avec la radio locale Radio DY10, à réussir à placer 2-3 dates, et même dernièrement à organiser des ateliers de DJing en non-mixité, le collectif nouveau-né réussit à tisser sa toile dans un écosystème électronique nantais en pleine bourre (notamment via le bar-disquaire le 44 tours, où elles ont élu résidence) et à prouver que le milieu n’est pas composé exclusivement de mâles blancs hétéros qui passent leur temps à jouer à touche-pipi sur les forums d’audiofanzine.
Aujourd’hui, Zone Rouge a réussi à multiplier ses pratiques : le collectif comprend désormais sept DJ résidentes pour la partie musicale, plus une quinzaine d’autres membres qui vont du graphisme à la communication en passant par la scénographie, la production événementielle, et tout ce qui peut globalement toucher à la vie d’une association – elles ont d’ailleurs obtenu ce statut juridique depuis peu.
Le club des sept
Pour autant, il suffit de traîner un peu sur leur Soundcloud commun pour se rendre compte qu’Aasana, Soa, Akira, Lizzie, Matilda, Super Salmon et Tina Tornade ne proposent pas exactement la même pilule musicale – à part peut-être une inimitié relative envers la techno basique en 4/4. Selon les intéressées elles-mêmes, Zone Rouge est une entité bicéphale, composée, d’un côté, de sonorités dures, breakées, volontiers axées sur la partie bass music de la force club, tandis que l’autre serait plus ravy, downtempo, deep techno, en un mot : plus lumineuse. Bien sûr, les choses sont un peu plus compliquées que ça, et il n’est pas rare de trouver des perles post r’n’b ou disco planquées au milieu de vagues deconstructed club ou reggaeton à vous en retourner le dancefloor. Pour autant, chacune a bel et bien sa patte : si Aasana, Soa et Lizzie versent volontiers dans le côté bass, Akira préfère quant à elle fouler des rythmes plus downtempo ou tribaux, tandis que chez Super Salmon, on se croirait par moments revenu·es vers la période dorée de la rave anglaise des années 1990 et des champs à perte de vue.
Quand on veut les booker individuellement, elles reconnaissent que ça leur arrive encore d’être confondues les unes avec les autres, sans doute car on les associe encore trop souvent au club emblématique Le Macadam, où certaines d’entres elles se sont rencontrées et ont travaillé – et où elles ont pu découvrir notamment que les postes artistiques et à responsabilité et ceux des “petites mains” comme la billetterie n’étaient alors pas exactement répartis de manière paritaire. Ou alors cet amalgame dans le fait de les programmer indistinctement relève encore et toujours d’une certaine logique à peine larvée d’essentialisme – comme si, au fond, “les meufs de Zone Rouge”, c’était la même chose.
Des propositions audacieuses
L’enjeu devient alors de faire exister les personnalités de chacune au sein d’un groupe qui partage les mêmes principes, à savoir : l’inclusivité, l’intersectionnalité, la mise en avant des minorités. Pour cela, elles s’inspirent volontiers du 6 Figure Gang, ce collectif anglais assez passionnant (qu’on pourrait qualifier sans sourciller de grandes sœurs putatives de Zone Rouge), qui fait péter depuis quelques années tous les curseurs de la club music qui bastonne en milieu non-genré. C’est d’ailleurs probablement à ce niveau que la proposition artistique de Zone Rouge est la plus excitante : leurs couleurs musicales, hardies, aventureuses et variées, semblent au diapason de leurs visées politiques – ne serait-ce que dans leur manière d’aller dans des zones peu explorées par la majeure partie des limonadiers de la techno. Pas besoin de dérouler un quelconque programme politique : il n’y a qu’à écouter leur musique et jeter un œil à leurs programmations pour se laisser convaincre qu’on tient bien là quelque chose d’extrêmement revigorant. Pour la musique, la teuf, et un peu tout le reste.
La prochaine date du collectif Zone Rouge aura lieu ce samedi 23 avril au Macadam à Nantes avec Aasana, Lizzie et LCY. Les infos sont disponibles ici.
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