Malgré une tournée mondiale épuisante, les Dublinois furieux dévoilent un deuxième album qui sent l’urgence à pleins tubes.
“C’est pas qu’on a perdu la foi, c’est juste qu’on était crevés”, grommelle Tom Coll. La voix métallique et le visage pixélisé, le batteur des Dublinois de Fontaines D.C. se remémore les deux ans qui viennent de s’écouler, au cours desquels les Irlandais ont enchaîné les dates de concerts au point de finir sur les rotules.
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Sur l’écran splitté de l’interface Zoom, cet outil de télécommunication qui aura fait de nous des chef·fes de projets chez IBM le temps du lockdown général, Grian Chatten acquiesce : “La tournée, c’est passer 70 % de ton temps sur la route, se déplacer et prendre plusieurs fois par jour l’avion. L’été dernier, on a beaucoup trop voyagé : la France, l’Espagne, la Russie, les Etats-Unis…”
N’allez pas croire que ces sales gosses se plaignent du succès qui leur a été réservé après la sortie en avril 2019 de Dogrel, leur premier album, mais la vie d’un musicien ressemble parfois à la trajectoire incontrôlable d’une voiture en flammes.
Une première rencontre en 2008 à Reykjavík
On n’imagine pas toujours que les plus incandescents des utopistes du rock ne rêvent pas de s’envoyer des pintes de scotch entre deux line-checks, mais plutôt de contempler l’horizon comme Neil Young sur la pochette de l’album On the Beach.
Inatteignable pour un groupe sur-réclamé. “Le fait d’écrire m’a permis d’échapper à cet état de fait, cette frustration, et de me sentir plus libre”, poursuit Grian, en évoquant la sortie prochaine de leur (déjà) deuxième album, A Hero’s Death.
Notre première rencontre avec le quintette remonte à il y a deux ans maintenant, dans la ville de Reykjavík, en Islande. Fontaines D.C. jouait très fort dans le lobby moite d’une auberge de jeunesse crado qui sentait fort la Guinness, avant d’enquiller avec deux ou trois autres concerts dans les bars de la ville.
A l’époque, la formation n’avait toujours pas terminé de mettre en boîte Dogrel et leur nom ne disait encore trop rien à un public français qui, comme Theresa May, se remettait doucement du cri de rage poussé par Shame avec Songs of Praise et des coups de boutoir du Joy As an Act of Resistance des Bristoliens d’IDLES.
Voraces et littéraires
Après avoir discuté des Pogues, de la débauche de Rum Sodomy & the Lash et de déambulations nocturnes dans un Dublin acquis à la cause des poètes sous narcotiques, on les croisait à nouveau, à 4 heures du matin, étuis à guitare sur le dos, dans une navette bondée qui devait nous conduire à l’aéroport. Ils ne se doutaient pas alors que ce mode de vie, et les excès qui vont avec, allait devenir leur quotidien.
Deux semaines plus tard, ils jouaient sur la scène de la Gaîté Lyrique, dans le cadre des Inrocks Festival, dans une salle pas tout à fait pleine. Un an, presque jour pour jour après cette date, et tandis qu’était sorti entre-temps ce premier disque qui aura laissé une balafre dans l’histoire du rock irlandais, ils remplissaient le Bataclan. A guichets fermés.
Voraces et littéraires, les kids de Dublin ont lu Albert Camus et sont traversés par le même sentiment d’absurde. Au silence déraisonnable du monde ils opposent la morgue et le détachement progressif des liens qui nous maintiennent la tête sous l’eau. La solitude, le non-sens de l’existence, la colère, l’écriture de Grian ne sera jamais celle d’un type dans l’air du temps, faisant feu de tout bois et recrachant sous une forme plus ou moins dégobillée les trending topics de Twitter.
Elle est au contraire viscérale, martelée, scandée. Chaque couplet est un mantra répété jusqu’à la prise de conscience de l’étendue tragiquement banale de notre existence : “I don’t belong to anyone/I don’t belong to anyone/I don’t belong to anyone”, comme pour mieux s’échapper de tout ; “Love is the main thing/Love is the main thing/Love is the main thing”, comme pour mieux s’en souvenir ; “Life ain’t always empty/Life ain’t always empty /Life ain’t always empty”, comme pour mieux s’en convaincre.
Enregistré aux côtés de l’incontournable Dan Carey, aux manettes du label Speedy Wunderground (Squid, black midi, Black Country, New Road) et producteur émérite qui aura fait le son du Royaume-Uni post-Brexit, A Hero’s Death ne cherche ni la rupture ni à surprendre. Il fonctionne comme une échappatoire poétique, dont l’expression et l’empathie serviront pendant longtemps à l’apaisement des âmes, autant qu’elles servent aujourd’hui à exorciser les démons qui hantent ce groupe désormais indéboulonnable.
A Hero’s Death (Partisan Records/PIAS)
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