Sur les ruines de l’easy-listening, un vétéran du rock alternatif d’ici reconstruit un palais où tout n’est que volupté. Une belle histoire d’amour, en effet. Qui finit bien après avoir commencé très platoniquement, sans vraiment se toucher : on a beau se creuser la cervelle, on eut plus d’admiration que d’amour pour le label Bondage, […]
Sur les ruines de l’easy-listening, un vétéran du rock alternatif d’ici reconstruit un palais où tout n’est que volupté.
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Une belle histoire d’amour, en effet. Qui finit bien après avoir commencé très platoniquement, sans vraiment se toucher : on a beau se creuser la cervelle, on eut plus d’admiration que d’amour pour le label Bondage, plus de respect que de flamme. C’est pourtant avec un plaisir inattendu que l’on accueille aujourd’hui Jean-Yves Prieur, fondateur du fantasque label de Bérurier Noir ou des Satellites, aujourd’hui passé du rock alternatif à la médecine alternative. Car sous le nom de Kid Loco, lui qui soignait il y a dix ans aux électrochocs et aux coups de massue ne traite plus le stress qu’au massage groovy, aux caresses et aux herbes aromatiques. Que les chasseurs d’opportunisme planquent la chevrotine : Kid Loco n’a pas sauté d’une rive à l’autre d’un bond prodigieusement calculateur, mais lentement et calmement traversé à la nage, par étapes. D’abord avec Mega Reefer Scratch, puis avec Catch My Soul puis, surtout, avec son premier projet passionnant : Blues Project. C’est là, au coin d’une rythmique hip-hop à la gravité menaçante, qu’il commença à donner des jambes à une mélancolie accueillie en amie pas en pique-assiette. Etonnamment serein, ce maxi prévoyait une porte de secours formidable à l’easy-listening : par la porte de derrière, loin de l’entrée en stuc, dans les poubelles et le noir complet. Une ruelle glauque mais accueillante, où l’on a appris à fréquenter DJ Cam, Laylow ou Tranquility Bass.
C’est là que Kid Loco joue désormais sa musique toute bleue, à la fois élégante, retenue, mais quand même minée ceux qui ont lu « minet » peuvent retourner écouter Sneaker Pimps sur leur chaîne B&O. Homme de culture, Kid Loco impressionne par le cachet de ses emprunts, mais sans jamais bluffer, jeter de la poudre de vinyle aux oreilles. Aucun sample déplacé, venu là épater la galerie, ne vient agacer la fluidité d’un album libre comme Air, autre groupe français à l’immense culture discrète. Du plantureux générique Grand love theme aux formes et à la souplesse de peau affriolantes de Calling aventura king, du psychédélisme étouffé de She’s my lover aux brouillards enivrants de Alone again so, pas un écueil pour déchirer ce flux de soie, pas une chicane pour en raboter la profondeur de champ, pas une bouée pour sauver de la noyade dans cette dance-music amniotique. Maintenant que l’easy-listening a été déserté par la mode et que le genre est heureusement devenu encore plus ringard qu’à l’époque où on achetait les vinyles de Jimmy Webb ou Burt Bacharach sur les brocantes paroissiales en s’affublant d’une fausse moustache , il s’agit de reconstruire ce qui a été vandalisé, sagouiné, insulté. Sur ces friches, la France est sur le point de rafler le contrat de reconstruction, avec les architectures libres et hospitalières de Kid Loco, Air ou Le Tone. Et quand le bâtiment va, tout va.
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