Nous avons suivi le groupe normand sur 1200 km dans son bus de tournée, pour trois showcases entre l’Angleterre et la France
Cinq ans : ce qui pourrait sembler une éternité à l’ère des buzz et du rythme effréné des sorties musicales, est le temps qu’il aura fallu à Concrete Knives pour donner une suite à leur premier album Be Your Own King, sorti en 2012. Après son succès immédiat, la folle tournée et les 150 dates qui s’enchaineront à travers l’Europe en 2013 fatigueront la pop explosive des normands. Il leur faudra le temps de mieux se retrouver pour donner naissance à Our Hearts, leur deuxième album prévu pour le 23 février. En amont de sa sortie étaient planifiés trois showcases intimistes à Londres, Paris et Caen, du 18 au 20 janvier, soit un peu plus de 1200 km sur la route pour se remettre en jambes, et recueillir les premières réactions du public. Le pari était lancé, et nous les avons suivis.
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On the road : Caen – Londres – Paris – Caen
JOUR 1
6h00 : Départ de Caen. Guillaume, le batteur, et « Bastoche » l’ingénieur du son, me récupèrent dans le van rouge avant de rejoindre les autres musiciens du groupe et Romain, leur manager. Présentations faites, il est déjà temps de prendre le ferry, en direction de Portsmouth.
Une tempête s’annonce sur la Manche. Après un english breakfast et une partie de Uno j’ingurgite un cachet « mer calme », qui m’a tellement calmée que j’ai dormi jusqu’à l’arrivée.
16h : Arrivée à Londres au Sebright Arms dans le quartier en vogue d’Hacknee.
17h: Pendant les balances, la chanteuse me confie que lors de leur dernier concert le 31 décembre 2016 à Amsterdam, quelque chose n’avait pas fonctionné, elle « ne se sentait pas à sa place », ce qui peut paraître étonnant quand on connait le talent scénique de Morgane. Les concerts qui vont suivre prennent un enjeu sous-jacent que je n’avais pas d’emblée identifié.
21h : 80 personnes auront fait le déplacement, beaucoup de français, des amis, mais aussi des ex et des labels. Pour leur premier album Be Your Own King, le groupe était signé sur le prestigieux label londonien Bella Union, repéré par le boss du label Simon Raymonde (l’ancien bassiste des Cocteau Twins).
Légèrement crispé sous les néons rose du sous sol du pub, le concert démarre. Après quelques hésitations, le groupe se débride progressivement porté par son public, avec au premier rang, Mike Sharp, le chanteur d’Otzeki qui se chargera de mettre l’ambiance.
23h: « On était un peu rouillés au début » plaisante Augustin à la fin du show, même si le soulagement de cette réussite est palpable dans les traits de chacun. « Le public anglais est plus sensible, plus organique. C’est toujours cool de jouer ici» explique Morgane. « Premier pari réussi » conclura Romain, le manager du groupe, comme après un premier match de poule gagné en coupe de la ligue.
2h: Après la fermeture du pub, la soirée se finira dans le temple du kitsch : un air’b’nb avec des oreillers cerfs sur fond de drapeau de l’Angleterre, des posters de fleurs en veux-tu en voilà, et des cœurs. Partout.
JOUR 2
6h30 : départ de Londres.
9h: Une petite halte culinaire pour prendre des forces avant d’embarquer dans le Shuttle pour retourner en France.
Finement rassasiés, on peut reprendre la route en direction de Paris. Si la mise en bouche de la veille était rassurante, le groupe a l’air d’en avoir encore pas mal sous la pédale, tandis qu’ils se remémorent certains souvenirs de leurs live préférés, comme celui en 2013 au festival Fnac live à Paris. Pour Augustin, le bassiste, un tel succès est avant tout une question de travail et d’automatismes. Pour Morgane cela dépend plus d’une magie, d’une variable inconnue.
Les paysages qui défilent sont propices à la divagation, la déconne, et à la conversation.
16h : Arrivée dans les locaux de So Press dans le 11ème arrondissement. Cela me parait presque étrange de voir des gens travailler devant un ordinateur. Ça ne fait que 48h que j’ai quitté la redac’ des Inrocks et j’ai l’impression qu’il s’en est déjà écoulé le triple.
L’installation peut commencer. Des banderoles à l’effigie de l’artwork de l’album sont accrochées un peu partout.
« On était partis sur deux maquettes, on a tout jeté pour tout refaire. Tout le monde a aussi des projets annexes [ndrl Samba de La Muerte, Elecampane ] Il fallait que l’on se retrouve, et aussi le temps que ça plaise à tout le monde. C’est aussi pour ça le nom de l’album, Our Hearts , et cet artwork avec ces morceaux de cœurs recomposés. » m’explique Morgane pendant la mise en place de la déco.
21h : Des amis et des fans qui les ont suivis depuis le début seront majoritairement présent. Pas de fosse, pas de gradin, un public qui se presse devant le groupe et une acoustique « maison » mais bien maîtrisée. Dans une ambiance à point, visiblement émue par ce soutien familier, Nicolas annoncera que tout cela « fait sens ». Un des thèmes centraux de ce second album.
Le showcase sera un succès. Nicolas invitera les spectateurs à les rejoindre après le concert pour faire la fête, et fera péter le champagne.
JOUR 3
12h30 : Départ de Paris sous la pluie, après avoir pu grappiller quelques précieuses heures de sommeil.
15h30 : Arrivée à Caen également sous la pluie.
16h00 : Installation du matériel dans la salle du Bazarnaom.
19h : L’équipe du Bazarnaom avait mis le paquet sur l’accueil et le catering. L’occasion de bien manger après les sandwichs ingurgités en bord d’autoroutes, et de boire du bon vin, même si les Concrete Knives ne sont pas trop le genre à se mettre la mine avant un concert. Pour Morgane « Un ou deux verres de vin pour se mettre dans l’ambiance » suffisent :« Les gens qui picolent sur scène sont ceux qui ne sont pas à l’aise, ce qui est compréhensible, mais ce n’est pas notre cas. Et puis sur scène on est tous ensemble, tout le monde chante, on forme un tout. Je ne me sens pas stressée avant de démarrer un concert. »
Adrien, le claviériste dit se sentir de mieux en mieux, et même pas fatigué. Et moi, de même. Mon engouement pour la vie en tournée va crescendo.
« Ça retombera surement lundi, m’explique t’il. C’est toujours comme ça en tournée. Quand tu rentres, tu as toujours une redescente, il faut deux jours pour s’en remettre. Et quand tu rentres, parfois c’est chelou. Tu retrouves ta meuf, t’es content, mais tu sais pas vraiment quoi lui raconter. »
« Des fois ta copine pense que tu préfères partir en tournée plutôt que rester avec elle » confirme Corentin. A la fin de la tournée de 2013, Guillaume, le batteur, n’a pas eu le temps de rêvasser, accueilli à son retour par l’arrivée d’un bébé. Morgane est aussi maman d’une fillette de deux ans. En hommage, un de leurs nouveaux morceaux s’appelle d’ailleurs Babies.
Public immobile vs la chenille
21h : Tous les ingrédients semblaient rassemblés pour terminer cette série de showcases en beauté : jouer à Caen, à domicile, un bon repas, une bonne sono, une bonne ambiance. Pourtant, l’atterrissage au Bazanaorm sera plutôt froid. En face d’eux, un public statique que le groupe n’arrivera pas à débrider. « On fait la fête après ?» lance Nico, « La fête, pas la tête hein ! » renchérit Morgane, passablement déçue.
Il faudra attendre l’after et le DJ set d’Adrien et Corentin pour que le public normand se lâche complètement, allant même jusqu’à faire la chenille. La soirée se terminera sur des classiques et des guilty pleasures des années 90 et 2000.
Ces 72h s’achèvent à une heure inconnue de la nuit, tandis que le van rouge me dépose là où il m’avait précisément récupérée 3 jours plus tôt.
Il est encore trop tôt pour dire ce qu’il adviendra du futur des Concrete Knives ni même si Our Hearts rencontrera le succès. Ce qui semble évident en revanche, c’est à quel point le groupe semble fait pour le live dans tout ce qu’il implique : ses imperfections, son énergie brute, organique et adolescente font partie intégrante de l’ADN du groupe. Et ça, ça ne se compte pas en années.
Our Hearts sortira le 23 février, Concrete Knives est en tournée dans toute la France à partir du 8 février, et de passage à Paris le 20 mars au Point Ephémère.
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