L’édition 2021 des Trans Musicales de Rennes, rendez-vous annuel incontournable, s’est achevé dimanche 5 décembre. Retour sur un long week-end en huit actes essentiels.
La 43e édition des Rencontres Trans Musicales de Rennes aura bien eu lieu du 1er au 5 décembre, et dans sa capacité d’accueille pleine et totale. Par précaution, à une semaine de l’événement, les organisateurs avaient bloqué la vente des billets, histoire d’anticiper une éventuelle restriction de jauge à 75 % de remplissage de la part de la préfecture, avant de relancer la machine.
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Hormis quelques annulations de dernière minute pour des raisons diverses et variées, souvent liées à des questions sanitaires (on n’aura pas croisé la route d’Amyl and the Sniffers, Wet Leg ou encore Urban Village, par exemple), c’est donc à un festival en pleine possession de ses moyens que nous avons pu assister.
À n’en pas douter, un homme aura remporté tous les suffrages : Andrea Laszlo de Simone. Programmé deux soirs de suite au TNB (Théâtre national de Bretagne), le Turinois aura bouleversé l’ordre cosmique des choses et suspendu le temps. On vous en parle dans un papier à part. Avant cela, retour sur une édition forte en émotions, en huit actes essentiels.
Blanketman, panic at the disco
Pour une première en France, Blanketman aura joué deux fois coup sur coup : le mercredi 1er à l’Ubu et le jeudi 2 décembre au Hall 3, devant une foule dispersée à l’arrière, mais compacte, enthousiaste et prête à en découdre devant. Le matin, au petit-déjeuner, un confrère nous rencarde : ces sales gosses venus de Manchester ont repris la veille le tube Chaise Longue, du duo en vogue Wet Leg, qu’ils ont remplacé la veille au pied levé après l’annulation de sa venue aux Trans. Comme un hommage et un pied de nez à la formation de l’île de Wight.
Sur la scène du Hall 3, traditionnellement la plus rock du festival, le quartet (transformé en quintet sur scène, avec un clavier à la dégaine tout droit sortie de La Famille Tenenbaum) donne à entendre (et à voir) ce que la scène indie made in UK a de mieux à offrir depuis la naissance des Buzzcocks : attitude, souplesse, refrains catchy et dance-punk.
Adam Hopper, leader en costume beige bien planqué derrière ses lunettes de soleil, a des faux airs de David Byrne ; il la joue débonnaire et faussement désinvolte, donnant au passage l’impression de livrer, sur un sol en flammes et au milieu des décombres, le dernier concert de l’humanité. Entre urgence et sacré toupet. F.M.
Gwendoline, “shlag wave”
C’est quoi l’exotisme ? Essai de définition : après le concert du duo Gwendoline, où se sont côtoyées guitare débraillée, boîtes à rythmes glaciales et paroles désabusées, scandées comme dans un hall de supermarché humide et désaffecté de la grande banlieue rennaise, Samuel Joseph – leader de la formation hippie Hello Forever venue de Topanga Canyon – ramène sa fraise en loges pour saluer Pierre et Micka : “C’était vous sur scène ? J’ai adoré.”
Peut-on imaginer rencontre plus improbable ? La pop béate et revivaliste des sixties californiennes vs les incantations métalliques et tristes comme la pluie, éclairées aux néons blafards du kebab le plus proche, de la new wave bretonne. Attendu au tournant, Gwendoline n’a déçu ni dans sa forme débraillée ni dans sa morgue racée. Débarqués sur scène comme jetés en pâture face à un public imbibé en hoodie, les deux potes ont déversé sur les Trans les mots sans concessions de leur premier album, attendu en 2022, tournant en rond sur scène comme on erre dans les rues sales. Loin du soleil de Los Angeles, le tropisme d’une nouvelle vague estampillée “shlag wave”. F.M.
Lujipeka, putain d’époque
Initialement prévue pour l’année blanche de 2020, la carte blanche des Trans Musicales de Rennes – dans le cadre de leur traditionnelle création – conviait Lujipeka, ex-Columbine et rennais, pour cinq concerts au Théâtre de l’Aire Libre. Mis sur des rails par la première partie assurée par la new wave très Rita Mitsouko de Barbara Rivage, l’auteur de Putain d’Époque venait présenter son premier album solo, Montagnes russes, devant un public acquis à sa cause.
Scénographie aux petits oignons, irrépressible sourire aux lèvres derrière le micro et setlist parfaitement calibrée – bangers, guitare-voix, morceaux de Columbine, piano-voix –, tout est en place pour sa jeune audience qui connaît les textes sur le bout des doigts. À cela, deux réponses possibles : plonger en faisant fi du mauvais goût, des refrains de variété réchauffés et d’un ignoble feat. avec Cerrone ou rester de marbre face à une adhésion dont on peine à comprendre les fondements. Putain de héros ou putain d’calvaire ? La question reste entière. T.D.
Guadal Tejaz, Rennes-Tenochtitlan
Soutenu par les Trans depuis ses balbutiements, le groupe Guadal Tejaz, formation made in Rennes hautement recommandable, joue une musique propice au bingo des genres : post-punk aux relents kraut sous influence mezcal ? Pourquoi pas. Gonflé à bloc avant son passage sur la scène du Hall 3, le quartet ne fera pas figure d’outsider ce soir-là, assénant devant un public acquis à la cause ses rythmiques tanto biscornues tanto motorik, sa basse lourde et ses effusions de riffs sous haute tension.
Tout se déploie ici comme si les sillons du vinyle étaient trop étroits pour rendre compte du potentiel tellurique de Guadal Tejaz. Et que dire de son chanteur, chaînon manquant entre l’épileptique Ian Curtis et le psychotique Johnny Rotten, sinon qu’il inquiète autant qu’il exalte, excellant dans tous les registres du punk, que celui-ci soit scandé, braillé ou chanté. L’une des belles rencontres de ces Trans Musicales. F.M.
Folly Group, l’étincelle
Formé à l’aube du confinement mais fort d’un joli succès d’estime avec la parution de Awake & Hungry, son premier EP, le collectif Folly Group se produisait pour “la première fois en dehors de Londres”, comme ils nous le confieront quelques minutes après un show plein de promesses. Écourté d’une dizaine de minutes faute de morceaux, le concert de la bande d’East London, emmenée par le batteur-chanteur Sean Harper, a égrené les tubes de sa courte discographie, qui s’inscrit dans la nouvelle scène post-punk anglaise tout en lorgnant du côté du dance-punk new-yorkais.
En télescopant deux sections rythmiques – celle de Sean et celle de Kai à la batterie électronique –, le quatuor a livré un concert aussi âpre que dansant, tout en riffs tendus et tumultes de cowbells. De quoi nous mettre en jambes pour le reste de la soirée – Folly Group ouvrait la soirée du samedi au Parc Expo – et nourrir de nombreux espoirs quant à l’explosion programmée d’un nouveau chouchou du rock UK. T.D.
Voice of Baceprot, guitar heroins
Comment reprendre Enter Sandman de Metallica et Killing In The Name de Rage Against The Machine en 2021, sans passer pour un groupe de metal de kermesse ou se vautrer dans le second degré ? La réponse de Voice of Baceprot : témoigner d’une technique stratosphérique et croire dur comme fer au potentiel fédérateur de ces morceaux.
Entre doigts d’honneur adressés aux questions sur leur port du hijab, séances de slap démentes et solo de guitares imparables, les trois Indonésiennes de Voice of Baceprot se sont attirées les faveurs d’un public cueilli à froid par la déflagration. Rappelant tantôt le punk-rock des Tokyoïtes d’Otoboke Beaver, tantôt une version réactualisée sous speed du hard-rock FM des années 1980, la musique de Voice of Baceprot – un EP live et un morceau studio seulement au compteur – témoigne aussi d’un sens inné du groove. Preuve par l’exemple avec les incartades funk hallucinées qui marqueront ce concert fougueux et proprement euphorisant. T.D.
Wu-Lu, les flingues de Brixton
“On est tous littéralement nés dans un tour-bus”, nous rencarde Miles Romans-Hopcraft quelques heures avant le passage de Wu-Lu sur scène. Façon de rappeler que la quartet venu du South-London (Brixton), à la tête duquel il officie, est issu d’une longue lignée de musiciens. Façon aussi de poser d’emblée l’idée que le concert du soir n’est pas anodin, que ces rendez-vous ne le sont jamais, qu’il y a un truc mystique, presque jazz, dans les formes d’expression scéniques de ces virtuoses insolents, même si Wu-Lu lorgne plutôt du côté du trash hardcore que de celui du Miles Davis Quintet.
Le groupe est tout simplement prodigieux, des hurlements primaux de Romans-Hopcraft, à la batterie canonnière d’un Jaega possédé par on ne sait quelle puissance démoniaque, en passant par les merveilles du pote Tag à la basse – on parle ici d’une section rythmique protéiforme, en pleine éruption volcanique. Le show des kids de Wu-Lu est sans doute le truc le plus fou, dans sa démesure et son absence totale de retenue, que nous ayons vu ce week-end. F.M.
Priya Ragu, la déception
Face aux trasher-skateurs de Wu-Lu, la nouvelle popstar chérie de la perfide Albion se produisait sur la grande scène du Hall 9. Malgré un concert techniquement irréprochable – mention spéciale à sa guitariste tout feu, tout flamme –, l’artiste suisso-tamoule basée en Angleterre Priya Ragu a peiné à donner corps à ses pop songs qui enflamment internet depuis 2020.
Devant un public désespérément clairsemé – et pas franchement concerné –, ni Good Love 2.0, ni Chicken Lemon, ni aucun de ses tubes empruntant au meilleur des musiques électroniques anglaises n’ont sauvé le concert de sa tiédeur. Si devenir l’un des potentiels futurs de la pop en pleine pandémie mondiale a certainement obligé Priya à brûler quelques étapes quant aux concerts, gageons que quelques mois de rodage nous feront oublier ce passage aux Trans Musicales qui nous laisse gentiment indifférent. T.D.
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