Sous le nom de Young Michelin, ces Marseillais avaient remporté en 2010 le concours CQFD des Inrocks. Devenus Aline, ils continuent de chanter en français leur amour de la pop britannique. Critique et écoute.
Depuis Marseille, Aline regarde loin vers l’Angleterre. Avec un premier album en forme de révérence aux pionniers de l’indie-pop britannique, le groupe emmené par Romain Guerret concrétise enfin sur disque les espoirs nés d’incarnations musicales multiples. Après la pop lo-fi bricolée sous le nom de Dondolo, puis l’aventure Young Michelin, avortée par les intimidations judiciaires d’un célèbre fabricant de pneumatiques, les quatre garçons sont revenus l’année dernière sous un nom de fille : Aline. Pas pour faire crier les avocats qui veillent sur la propriété intellectuelle du chanteur Christophe, mais plutôt pour écrire l’histoire de leur premier album, dans la continuité de celle de Young Michelin.“Dans la fausse biographie du groupe, j’avais écrit que l’on venait tous d’Aline, une ville imaginaire, explique Romain. Une petite ville grise, triste, traversée par un fleuve opaque. Ça sonnait bien. On n’a malheureusement pas réussi à conserver Young Michelin comme nom de groupe, et même si seulement trois personnes avaient dû lire la bio, on s’est dit que ce serait cool de garder Aline pour faire le lien.”
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Aline est donc le nom d’une patrie imaginée. Et sa description, bien que maussade, a des allures de refuge idéal pour des musiciens biberonnés à des labels indépendants comme Sarah Records, Factory et tout ce que l’Angleterre a publié de meilleur en matière (grise) de pop chagrine et de post-punk compassé. Comme si le groupe cherchait à exiler son inspiration pour fuir un climat marseillais dans lequel il ne se retrouve pas forcément. Pour Arnaud, qui assure les solos de guitare avec Romain depuis l’époque Dondolo, l’activité musicale marseillaise reste très influencée par la dichotomie hip-hop/electro : “Il existe pas mal de lieux d’expression pour les musiciens à Marseille : le Poste à Galène, l’Espace Julien, le Moulin ou encore la Machine à Coudre… Mais l’environnement reste quand même assez sclérosé. C’est bizarre. On habite tous ici et c’est peut-être l’endroit où l’on joue le moins.” Si Aline se sent seul dans la cité phocéenne, c’est sans doute parce que l’équation proposée par le groupe a de quoi désarçonner. À Marseille comme ailleurs en France.
Amoureux de groupes britanniques des eighties – The Wake, The Pastels, The Smiths ou New Order –, Romain Guerret n’hésite pas à citer des références françaises plus obscures lorsqu’il s’agit d’examiner l’ADN composite d’Aline : “En dehors de Daho, Taxi Girl ou encore Indochine, il n’y a pas de vraie tradition pop en France. Alors que si l’on creuse un peu, on découvre tout un pan de la chanson française qui est passé presque inaperçu. Je pense à des groupes comme Les Freluquets, Les Fils De Joie, Les Désaxés, Gamine… Ils sont peut-être arrivés au mauvais moment. C’est très difficile d’être pris au sérieux quand on chante en français. À moins d’écrire des chansons à texte… Nous, on fait de la pop. On recherche la fluidité et l’efficacité avant toute autre chose. Sans chercher à s’inscrire dans une quelconque tradition littéraire.”
Pour enfoncer le clou bleu-blanc-rouge de leur obsession pop, les garçons d’Aline ont confié la réalisation de leur premier album à Jean-Louis Piérot, claviériste aperçu aux côtés de Daho, Bashung ou Miossec, et fondateur du groupe Les Valentins au milieu des années 80. Sur Regarde le ciel, toutes les chansons sont défendues en français. Le disque s’ouvre pourtant sur Les Copains, morceau entièrement instrumental grâce auquel Young Michelin avait remporté l’édition 2010 du concours CQFD (devenu inRocks Lab).
On entre donc dans l’album par une caresse musicale qui rappelle les longues introductions orchestrées par les Écossais de The Wake, groupe-passerelle entre la raideur eighties de Factory et la mélancolie romantique ordonnée par Sarah Records au début des années 90. De l’aveu même de Romain Guerret, Les Copains aurait pu être le nom choisi par le groupe si Aline ne s’était pas imposé comme une évidence. Le titre déballe le tapis rouge à Je bois et puis je danse, chanson inévitable de l’album, portée par une rythmique métronomique et un chant solitaire, presque dégrafé de la mélodie principale. Une sensation répétée et avivée par les longues voyelles étirées des morceaux Elle et moi et Elle m’oubliera.
On ose le parallèle avec les Smiths et le charisme spectral de Morrissey. “J’ai eu du mal avec les Smiths pendant très longtemps à cause de Morrissey, lance Romain. Ça fait seulement une dizaine d’années que je suis complètement rentré dans son chant et dans sa façon particulière de laisser traîner le texte. J’adore le contraste entre son détachement et l’emballement de la musique. C’est sûr qu’il y a quelques références très marquées à sa façon de chanter sur l’album.”
Malgré l’avènement récent de Lescop, tenter l’aventure de la pop en français reste un pari audacieux. La frontière entre écriture détachée et dérisoire paraît souvent ténue, et le groupe reste conscient de la difficulté d’éviter le piège du ridicule. “Aline, c’est sur un fil. On n’est parfois pas loin de se casser la gueule du mauvais côté”, remarque Romain, approuvé aussitôt par son guitariste. Pour ce qui est de l’aspect financier, les deux copains préfèrent relativiser : “On n’a pas choisi la formule la plus rentable. On est conscient du risque mais la musique ne sera jamais un plan de carrière. On est assez réfractaire aux musiques de pub, par exemple, mais si demain un annonceur nous appelle, on y réfléchira peut-être à deux fois.” Michelin, ce serait pas mal pour une synchro pub, avec le recul ? “Pirelli, ce serait mieux !”
Azzedine Fall
Concert le 21 février à Paris (Café de la Danse) + tournée française.
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