Depuis plus de 30 ans, un homme plus que les autres personnalise la passion inextinguible, l’esprit de défrichement, celui de nouveauté et de croisements des Transmusicales de Rennes : Jean-Louis Brossard. Entretien.
Et au niveau de ta vie intime, personnelle, tu n’as jamais l’impression d’être passé à côté de choses, parce que tu donnais trop à la musique, au festival, du fait de tes obsessions ?
Ca, pour être obsédé… Mais non, je n’ai pas l’impression d’être passé à côté de choses, ça va. C’est sûr que pour les gens qui vivent avec moi, ce n’est pas toujours facile, mais j’ai grandi. J’arrive à rentrer à la maison en mettant le boulot de côté, en ne transmettant pas mon stress à ceux qui m’entourent. Ca m’était arrivé il y a trois ans avec Pnau qui avait annulé : j’en avais été malade pendant des mois, j’ai foutu la zone, j’ai fait virer l’agent Anglais, je voulais les avoir, j’étais dingue. Je les ai d’ailleurs cette année aux Trans…
Qu’est ce qui te rend le plus fier, dans ta vie ?
Je suis fier que ça continue, ça fait 32 ans et on est encore là. Il y a plein de gens qui sont salariés pour les Trans, c’est une vraie boîte, mais on a aussi notre côté associatif, il y a tout ce qu’on fait à côté du festival, dans les prisons, l’action culturelle, il n’y a pas que du live dans les salles. Je pense qu’on fait quelque chose de très chouette, quelque chose de très humain. J’essaie de me rendre très disponible, même pendant un concert : je suis toujours disponible pour parler avec quelqu’un. Même avec les gamins, je fais pas mal d’interventions dans les écoles. Je me rends d’ailleurs compte que le public a beaucoup rajeuni, maintenant à 13 ou 14 ans, ils vont aux Trans, ce n’était pas le cas il y a quelques années. Mais je me sens totalement en phase avec tout ça, je baigne là-dedans, dans l’émulsion, je vois en permanence des gamins qui me disent « Tiens, je viens de monter un groupe, je te file ma démo », ça m’anime aussi.
Tu me parlais du concert de Noir Désir, d’Orchestre Rouge, il y a eu Nirvana, beaucoup d’autres qui sont passés aux Transmusicales bien avant de passer ailleurs…
Il y en a eu beaucoup, oui. Mais ce que j’ai aimé n’est pas forcément le concert duquel les journaux parleront en pleine page le lendemain… Je me souviens d’un concert d’Anna Palm, une petite nana qui jouait avec son violon alto, on était 50 dans l’UBU mais tout le monde pleurait, on était tous extrêmement émus. Ou un concert de Zero 7, totalement love : j’étais avec ma femme, c’était un moment incroyable, une magie totale. Ce n’est pourtant pas un groupe dont on parle beaucoup.Je me souviens aussi d’un concert de Fatboy Slim, totalement dingue : j’étais perché au dessus de la scène, et je pouvais physiquement sentir l’énergie qui se dégageait du set, des picotements dans tout le corps, et je regardais ce qui se passait, c’était fou. J’ai fait des choses assez grosses, ou des groupes qui le sont devenus ensuite, mais je ne suis pas à la recherche de ça : j’ai même refusé les White Stripes ou Oasis, vers les débuts, parce que ça ne me parlait pas plus que ça même si je savais que ça allait cartonner, ce n’était simplement pas là-dedans que je voulais aller. Je suis là pour faire de la musique, je ne suis pas là pour faire le groupe de la révélation, même s’il y en a évidemment, parfois des choses alors totalement inconnues.
Quels seraient les grands souvenirs, dans tout ça ?
De l’avènement du hip-hop, avec IAM à la Cité ou Kid Frost –IAM n’était encore connu du tout, ils n’avaient même pas de disque- puis tout ce qu’on a fait avec les gamins ; ceux des quartiers ne venaient pas aux Trans, donc on est allés chez eux, avec Quartiers en Trans. Après, ils sont venus. Et la première année, je leur ai fait du hip hop, la seconde année de la « world », la troisième du rock : je ne veux jamais être dans quelque chose d’installé. Il y a aussi eu Rave ô Trans en 92, un des grands moments de l’histoire du festival. A l’époque, la techno était totalement diabolisée, même des potes ou des techniciens haïssaient ça, et en fin de compte tout le monde est rapidement rentré dans le truc. Et puis Underground Resistance aux Trans, ce n’est pas rien : c’est les pionniers, et quand tu fais jouer les pionniers, tu es vraiment dans le temps.
Tu as du voir passer pas mal de cinglés, en 32 ans…
Oui, des cinglés, il y en a eu quelques uns… Un mec comme David Peel, par exemple, un mec qui a sorti chez Elektra un premier album enregistré dans la rue, que John Lennon avait signé sur Apple, et qui était totalement dingue. On bossait avec Anne, elle devait l’appeler chez lui, lui est sourd, totalement halluciné, il n’avait pas de management, il fallait traiter avec le groupe directement. Totalement grandiloquent, tout était un problème, il était bien perché. Au bar VIP, il avait des photocopies des morceaux qu’il chante, parce qu’il ne se souvient pas toujours des paroles, il les distribuait à tout le monde –mais il ne les donnait qu’après avoir déliré pendant une demi-heure…
Et des gens affreux, des artistes désagréables ?
Aussi, oui. Le pire est quand j’ai bossé avec Bootsy Collins, et son insupportable manager. Ils ont en plus fait un très mauvais concert, c’est une énorme déception pour moi comme pour tout le monde. Même avant qu’ils arrivent, ça n’avait été que des problèmes, ils n’étaient contents de rien, il avait fallu leur payer leurs chambres d’hôtel à Paris alors que ça n’avait rien à voir avec les Trans… Dans le groupe, il y avait Maceo Parker, Fred Wesley, Pee Wee Ellis, Clip Payne et Gary Shider, qui nous a quitté il y a peu, que des monstres. Je suis parti au bout de quatre morceaux, quand les types te gavent… Mais Maceo est venu me voir à la fin et m’a dit « Putain, j’ai fait le plus mauvais concert de ma vie, et je n’y suis pour rien. » J’ai fait rejouer Gary Shider et Clip Payne avec un groupe qui s’appelle Drugs, quelques années plus tard. A la fin du concert, qui avait été excellent, dommage que les gens soient un peu passés à côté, ils me sont tombés dans les bras : ils s’étaient dégagés de cette bad vibe qu’ils trainaient derrière eux depuis 5 ans. Certains oublient vite un mauvais concert, pas ces mecs là.