Il y a trente ans, The Jesus And Mary Chain délaissaient le bruit blanc pour la poésie noire. Retour sur la genèse de « Darklands », le deuxième album du groupe écossais.
En 1985, The Jesus And Mary Chain irradient la face délétère du rock jusqu’à l’incandescence avec Psychocandy, son premier album : une invitation au chaos où la violence des Stooges côtoie les mélodies charnelles du Velvet Underground. Sur scène, le groupe exalte sa sauvagerie et construit sa légende avec des concerts lapidaires et des émeutes apocalyptiques, comme à Londres en mars 1985 :
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Formé deux ans plus tôt autour des frères Jim et William Reid (chant et guitare), de Bobby Gillespie (batterie) et de Douglas Hart (basse), The Jesus And Mary Chain impose Psychocandy comme une œuvre fondamentale dans un paysage musical aseptisé où la fin du post-punk embrasse les prémices du shoegaze.
Rupture
En 1986, le groupe rompt avec Alan McGee, le manager et patron de Creation Records, tandis que Bobby Gillespie officialise son départ pour former Primal Scream. Jim et William Reid, usés par le succès et fragilisés par les luttes fratricides, se retrouvent seuls pour imaginer le deuxième album du groupe. Contrairement à la volonté de son label, le duo n’entend pas composer une réplique de Psychocandy : il hypothèque les larsens abrupts pour révéler Darklands, le 31 août 1987.
Intense par ses textes, ardent par ses rythmes, The Jesus And Mary Chain parviennent à faire croire en l’existence d’un ailleurs où le spleen sublime la quiétude des ténèbres. Les deux frères surprennent par la finesse des mélodies pop ennoblies par un chant apathique partagé entre William (Darklands, On The Wall, Nine Million Rainy Days) et Jim (le reste). John Moore, le batteur recruté pour une période de deux ans, n’approche presque pas le studio puisque les musiciens ont opté pour une boîte à rythmes lors de l’enregistrement.
Pour produire le disque, Warner suggère à la fratrie de travailler avec Chris Hughes, connu pour avoir façonné le son d’Adam and the Ants et Ian Stanley, claviériste de Tears for Fears. Le duo propose une première version de Darklands aux deux frères. Dans le livre Barbed Wire Kisses de Zoë Howe, Jim Reid se souvient :
« On n’était pas du tout sur la même longueur d’ondes, ils s’enthousiasmaient pour des trucs dont on avait rien à foutre. Ils sont venus nous voir, William et moi, et nous ont fait écouter Darklands : ils avaient ajouté une contrebasse ! On s’est regardé, avec William, on a tellement ri que j’ai eu envie de me pisser dessus! »
Jim et William congédient Chris Hughes et Ian Stanley ; l’album est produit par Bill Price (Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols, London Calling) et John Loder, qui avait déjà travaillé sur Psychocandy. Avec Darklands, The Jesus And Mary Chain n’atteint toujours pas l’objectif de devenir aussi célèbres que les Rolling Stones. Néanmoins, ils les parodient en imitant les chœurs de Sympathy for the Devil sur Nine Million Rainy Days.
Bannis de la BBC
Grâce au succès d’April Skies, huitième au hit parade en Grande-Bretagne, ils s’affichent pour la première fois sur le plateau de Top of The Pops, l’émission musicale britannique diffusée en prime time. L’hédonisme exacerbé du groupe associé à un comportement mal adapté le conduit au bannissement : il ne jouera plus sur le plateau de la BBC.
Sur son deuxième album, The Jesus And Mary Chain laisse apparaître au grand jour une irrévérence velvetienne pour l’élever au rang de mythe. Même si le groupe ne s’est jamais embarrassé de velléités liées à la pérennité; aujourd’hui, il salue la postérité. Devenus héros d’une génération, la clairvoyance de Jim et William Reid se situe dans la faculté à défier le temps, à rebours des modes et des transformations du monde.
Si Etienne Daho n’a jamais caché l’influence du son noisy pop d’un titre comme Happy When It Rains pour composer Pour nos vies martiennes, en 1988 ; Nicolas Ker, le leader du groupe Poni Hoax actuellement en tournage d’Alien Crystal Palace, le nouveau film d’Arielle Dombasle, rappelle à juste titre que Darklands et Psychocandy forment un diptyque indissociable.
Les autres albums des frères écossais ne résonneront jamais de la même façon que ces deux brûlots indomptables. The Brian Jonestown Massacre, Black Rebel Motorcycle Club, The Horrors : tous revendiquent l’héritage de The Jesus And Mary Chain. D’ailleurs, selon Oliver Ackermann, le guitariste du groupe new yorkais A Place to Bury Strangers, Psychocandy s’écoute comme un disque brut à la beauté solennelle, lorsque celle de Darklands réside dans les contrastes. Inévitablement, ce disque reste, depuis trente ans, le plus bel exutoire aux errances des visiteurs du soir.
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