Entre deux tournages de films, le chanteur césarisé a enregistré et publié un mémorable dixième album, Confessions. Au terme d’une année pleine, Philippe Katerine se souvient d’un tremblement de terre à Los Angeles, en plein mastering du disque.
Le mastering pour un disque, c’est l’étape où l’on estime enfin mission accomplie. Ici, on alourdit les basses, ailleurs, on les allège. On donne des niveaux de volumes cohérents aux chansons, les unes en rapport aux autres, on teste les écarts de temps entre les tracks… Bref, c’est une étape un peu abstraite au premier abord, mais capitale et passionnante quand on veut bien s’y intéresser vraiment. C’est comme tout d’ailleurs.
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Pour Confessions, Renaud Letang, le producteur, avait l’idée d’aller à Los Angeles travailler avec un certain Mike Bozzi (Snoop Dogg, Mac Miller, IGOR, de Tyler, The Creator et Damn., de Kendrick Lamar). Waouh ! Je ne suis jamais allé à LA et rien qu’à lire son CV j’adore ce Mike Bozzi. Nous sommes tout début juillet, le mastering se déroule calmement, non loin de Sunset Boulevard, le son sature un peu mais il paraît que c’est le style US. Au matin du 5 juillet, le sentiment du devoir accompli est fort, j’écoute Apollo XXI de Steve Lacy, le soleil montre son joli minois, la télé diffuse les images déjà désuètes du défilé de la fête nationale américaine. Au 11e étage du Ace Hotel, je suis nu et me rase le sourire aux lèvres, heureux de n’être pas mort avant de finaliser le son du disque.
Et puis soudain, patatras, le lustre commence à danser, les ampoules grésiller, des cris dans l’hôtel se font entendre. Mes yeux sont tout ronds, je m’approche de la vitre, la piscine à débordement du building d’en face déborde vraiment sur le toit, le bitume en bas ondule comme de la tôle, la télé a interrompu son programme. Mon premier réflexe ? Attraper mon caleçon pour préserver un peu de dignité sous les gravats, parce que c’est sûr, tout va s’écrouler d’une seconde à l’autre et le monde va se vider comme de l’eau dans un évier. C’est l’image qui me vient.
La main serrée sur le caleçon, je pense à ma famille et mes amis en France, je me dis qu’au fond je ne leur ai pas fait trop de mal et que je les aime, j’ai fini mon disque hier soir et je l’adore, j’ai validé la pochette, elle est superbe, ma vie aura été pleine et inattendue. Le monde s’écroule, mais j’ai peu fait pour ça, je n’ai pas d’ennemi déclaré et l’idée d’un bonheur ne m’est pas étrangère ; si je dois partir maintenant, je l’accepte et le comprends. J’agoniserai sous les gravats, le sourire aux lèvres avec des gens qui parlent anglais, j’essaierai de retrouver Renaud mais en vain…
Les 30 secondes qu’a duré ce tremblement de terre (7,2 sur l’échelle de Richter) m’ont paru si longues que toute ma vie a défilé, s’est condensée en mélodie du bonheur et j’étais résigné à partir… Puis ça s’est arrêté comme c’est venu, mes doigts se sont desserrés du caleçon, mes yeux ont repris leur place, Renaud m’a appelé, vivant… Sur la pointe des pieds, nous sommes allés voir le Pacifique dans l’après-midi. Tout était bénédiction : les cormorans, les joggeurs, les burgers, les skaters, les T-shirts, les poubelles pleines, les voitures dégueus. Comme si de rien n’était, la mort passe, mais la vie continue.
Depuis ce jour de juillet, tout est cadeau pour moi, même quand il n’y a pas de cadeau, le soleil se lève derrière les nuages et je dis “merci”, et après je dis “oui”.
Confessions (Cinq7/Wagram) dernier album paru
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