Les quatre Anglais de Leeds ont sorti au printemps l’un des meilleurs albums de l’année – suivi d’un tour du monde, puis d’un prestigieux Mercury Prize à l’automne. Retour sur la rencontre du groupe à domicile fin octobre.
Quand vous étiez encore en train de répéter à Leeds, pensiez-vous que tout ça serait possible et irait aussi vite ?
Joe – J’étais fier de l’album qu’on avait fait donc j’espérais qu’il allait se passer quelque chose, évidemment. Je pensais soit que ça allait bien marcher, soit qu’on allait être ce petit groupe qui a sorti un album pas mal en 2012 et que tout le monde a oublié ensuite. Jamais je n’avais imaginé que les choses se passeraient comme elles se sont passées cette année. Ça me paraît dément.
Vous avez le sentiment que les choses sont allées très vite ?
Joe – Pas vraiment.
Gus – Le temps passe très doucement de notre point de vue. Beaucoup de gens nous disent que les choses ont évoluées très vite pour nous en quelques mois, mais de notre côté, on fait ça tous les jours, donc ça nous paraît être une éternité.
Gwil – Quand je repense à certains concerts qu’on a donnés il y a à peine un an, j’ai l’impression que c’était il y a cinq ans.
Vous êtes tous relativement jeunes, de 23 à 26 ans. Est-ce que vous avez eu l’impression de grandir sur la route cette année ?
Gus – Au contraire ! J’ai le sentiment d’avoir rajeuni depuis qu’on a commencé à tourner parce que j’ai moins de responsabilités que l’année dernière. La seule chose à laquelle il faut que je pense chaque jour, c’est jouer. C’est un peu étrange, j’ai l’impression de ne plus savoir m’occuper de moi.
Joe – On est dans une position de pouvoir en ce moment. Si tu réfléchis bien, d’une certaine manière, nous sommes les quatre personnes pour qui tout le monde travaille, sur qui tout le monde compte. D’un point de vue personnel, ça m’a aidé à prendre confiance en moi. Il y a un an, entouré d’autant de gens, j’aurais été très timide, je n’aurais pas su quoi faire. Aujourd’hui, je ne dirais pas que je suis super confiant mais au moins, je suis capable de parler aux gens, de les présenter les uns aux autres au lieu de me mettre la tête dans le sable.
Gwil – Je suis d’accord, moi aussi je me sens plus à l’aise avec les gens aujourd’hui. On rencontre tellement de personnes sur la route… J’étais assez maladroit avant.
Vous allez arrêter de tourner pendant quelques semaines à la fin de l’année. Comment pensez-vous que vous allez vivre cette pause, le retour à la vie normale ?
Gwil – Ça va être génial ! La seule chose qui m’inquiète un peu, c’est que ma famille va me poser plein de questions sur le groupe. Je comprends qu’ils aient envie de tout savoir mais j’espère qu’on ne va pas parler de ça pendant toutes les vacances. Peut-être que je devrais tout raconter d’un coup en arrivant et comme ça, on en parle plus après… C’est comme lorsque j’appelle mes parents quand on est en tournée : ils ne me posent que des questions sur le groupe, les concerts, je ne peux même plus leur demander ce qui se passe dans leur vie à eux.
Gus – Exactement ! Quand j’appelle les miens, il ne me parle que de moi, ça fait bizarre. J’essaie de savoir ce qu’ils font, de changer de conversation mais ils ne me parlent que du groupe.
Gwil – J’ai trois frères et sœurs et quand je vois mon père ne parler que d’Alt-J sur Twitter, d’un côté, je trouve ça adorable, et de l’autre, je me sens mal vis-à-vis de mes frangins parce que j’ai l’impression d’être plus important qu’eux à ses yeux, même si ce n’est pas le cas.
Joe – C’est marrant de voir à quel point mes conversations avec ma famille ou mes amis ont changé. Parfois, 80% de nos conversations tournent autour du groupe. Quand j’ai pu rentrer à la maison récemment, je suis allé voir mes potes et toutes leurs questions portaient sur le groupe. Si j’avais un pote dans un groupe, je ferais pareil, donc je comprends parfaitement, mais parfois, tu veux juste parler d’autre chose.
On en parlait tout à l’heure : vous êtes nominés au Mercury Prize. Quelle a été votre réaction ?
Gus – On était à New-York quand les noms des nominés ont été annoncés. On savait que c’était ce jour-là, on attendait chez Starbucks. C’était nerveusement épuisant parce qu’on s’est rendu compte en attendant qu’on voulait cette nomination bien plus que ce qu’on pensait. Beaucoup de gens nous disaient qu’on allait être dans la liste, et à un moment, on s’est demandé comment on allait réagir si on n’y était pas.
Gwil – Je me rappelle ce qu’a dit Joe à ce moment, que sans les paris des bookmakers, on aurait moins attendue cette nomination. Si notre nom était sorti de nulle part, on aurait réagi bien plus spontanément, mais là, les paris sur nous étaient tellement nombreux qu’on s’est presque mis la pression. Au lieu d’être simplement heureux d’être nominé, je crois que j’ai d’abord été soulagé en fait.
Cette interview sera publiée après les résultats. Comment pensez-vous réagir si vous perdez ? Et si vous gagnez ? (Alt-J a depuis remporté le Mercury Prize 2012, ndlr)
Gus – Je discutais avec mon petit frère aujourd’hui – il vit dans une petite ville, il ne suit pas vraiment ce genre de choses – et il m’a dit « désolé que vous ayez perdu le Mercury Prize frangin, mes potes m’ont dit que Michael Kiwanuka avait gagné« . Je lui ai dit que les résultats n’étaient pas encore tombés, mais je me suis surpris à être sur la défensive sur le sujet. J’ai un peu paniqué, je lui ai demandé où il avait entendu ça, comment ses potes avait eu cette info alors que je sais très bien que personne ne sait encore qui va remporter le prix (rires). Plus sérieusement, je crois que je peux plus facilement te dire comment je vais réagir si on perd plutôt que si on gagne.
Gwil – Oui, pareil. Je pense que je serai à la fois déçu et un peu énervé – tout dépendra de qui gagne en fait (rires). Je serai heureux de perdre contre certains groupes, pas d’autres.
Gus – Je serai heureux de perdre contre Plan B.
Gwil – Non, justement, c’est un de ceux contre lesquels je ne veux pas perdre !
Gus – Mais non, parce que si Plan B gagne, on pourra toujours dire (Gus prend une voix blasée) « ok, super, Plan B a gagné, viens on va rejoindre Django Django et dire du mal de lui avec eux« , alors que si Django Django gagne, je me dirai (Gus se prend la tête entre les mains) « je le savais, putain je le savais… On n’est pas mauvais, mais ils sont meilleurs que nous » (rires).
Gwil – J’aurais été plutôt content de perdre contre Django Django jusqu’à ce qu’ils gagnent les Q Awards il y a quelques jours (rires).
Avez-vous le sentiment que vos relations les uns envers les autres ont changées depuis que vous êtes constamment sur la route ?
Joe – On dit toujours qu’on est comme un couple marié. Si tu partais aux toilettes là, je pense qu’on ne se parlerait pas avant que tu reviennes (rires) !
Gus – Je crois que ça veut dire qu’on est juste encore plus proche en fait, on peut se permettre de rester ensemble sans forcément se parler. Quand nous ne sommes pas en tournée, je suis content de voir les garçons.
Gwil – Je serais heureux d’aller boire un verre avec chacun d’entre vous je pense mais pas tous ensemble.
Quel est le souvenir le plus dingue que vous gardez de cette année ?
Gus – Voir la foule se masser devant nous à certains festivals m’a profondément marqué.
Gwil – Les festivals Pukkelpop, Latitude, Reading et Leeds ont été des moments dingues, de ceux qui nous ont fait réaliser qu’il était en train de se passer quelque chose d’important pour nous.
Gus – Quand on a rencontré ce réalisateur à Hollywood aussi. On a le droit de parler de ça les gars ?
Gwil – Je pense que oui.
Gus – Ok, alors on a rencontré ce réalisateur, David O. Russell (Les Rois du désert, J’adore Huckabees, ndlr). Il voulait utiliser une de nos chansons dans son film, Happiness Therapy, et on s’est retrouvé à déjeuner avec lui dans un de ces studios d’Hollywood pour parler de ça. C’était surréaliste.
Joe – Apparemment, certains gros bonnets de la société de production ne voulaient pas que notre chanson figure dans le film mais Bradley Cooper, qui joue dedans et aime beaucoup notre groupe, est allé les voir pour les convaincre de mettre notre morceau dans la BO. C’est ce qu’on nous a raconté, c’est dingue.
Et le pire souvenir de 2012 ?
Gus – Pleurer dans la loge à Los Angeles je pense.
Gwil – Jools Holland était un moment très embarrassant. Au début de l’émission, ils demandent à tous les groupes de jammer ensemble. Un des groupes commence et les autres l’accompagnent. Jools Holland nous a dit « jouez tous en si bémol majeur » et Joe et moi avons dû aller demander à Gus où était le si bémol majeur parce qu’on en avait aucune idée (rires). Tous les autres groupes de la pièce étaient des musiciens de studio, on avait l’air con.
Gus – Les mecs étaient tous à fond. Quand Jools Holland a dit « allez, tous en si bémol majeur les gars« , on s’est dit « hein ? quoi ? » (rires).
Joe – Si bémol majeur ? Qui met un bémol à quoi ? (rires)
Gus – C’était plutôt marrant en y repensant.
Gwil – Oui, c’était loin d’être affreux, juste un de ces moments où tu te dis « mon dieu, on n’est pas un vrai groupe » (rires).
Vous pensez déjà à la suite ? Vous écrivez déjà pour le prochain album ?
Joe – Je ne pourrais pas arrêter d’écrire.
Gus – Ce n’est pas facile d’écrire sur la route, mais on essaie de le faire le plus possible pendant le soundcheck. C’est marrant de se dire que tu crées un groupe pour écrire des chansons, mais une fois que ton groupe a un peu de succès, tu es tellement pris par la tournée que tu ne peux plus faire ce pour quoi tu as créé le groupe. Avant, notre vie consistait à aller à la fac, bosser nos cours et se rejoindre pour écrire des chansons et les jouer. Aujourd’hui, on a toujours cette envie mais on trouve de moins en moins le temps de le faire.
Joe – J’ai envie de prendre mon temps pour le deuxième album, comme on l’a fait pour le premier. Quand je vois que les gens nous demandent déjà quand sortira le second album, j’ai envie de leur répondre « on se calme les gars, va falloir attendre ». Je ne veux pas me précipiter, paniquer et faire un mauvais disque parce que je n’ai pas pris le temps de le faire. Trop de groupes sortent des seconds albums merdiques parce qu’ils ont mis vingt ans de leur vie dans le premier et seulement six mois dans le deuxième. Je ne veux pas faire ça.
Gus – J’ai moins peur de faire ce deuxième album que le premier qui était plein de doutes, d’incertitudes.