Les quatre Anglais de Leeds ont sorti au printemps l’un des meilleurs albums de l’année – suivi d’un tour du monde, puis d’un prestigieux Mercury Prize à l’automne. Retour sur la rencontre du groupe à domicile fin octobre.
Alt-J s’est formé à Leeds quand vous étiez encore étudiants ici. Ça vous fait quoi de revenir dans cette ville après un an de tournée ?
Gus Unger-Hamilton (vois, claviers) – Je ne crois pas que Leeds nous ait adoptés aussi vite que d’autres villes comme Manchester ou Londres à nos débuts. Être de retour aujourd’hui est assez étrange parce que maintenant, j’ai l’impression que la ville est fière qu’on vienne d’ici. Comme si Leeds clamait « Alt-J est à nous ».
Gwil Sainsbury (guitare, basse) – Oui, Leeds est devenue possessive vis-à-vis de nous.
Joe Newman (voix, guitare) – Tu penses que Leeds est possessive ? Je ne sais pas.
Gus – Si, je crois. Sur Twitter, sur Facebook, les gens disent « Alt-J viennent de Leeds ».
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Vous vous sentez à la maison ici ?
Gwil – C’est étrange parce que j’ai moins d’invités sur ma liste pour le concert de ce soir que pour celui de Newcastle. Je n’ai plus que quelques potes ici.
Joe – Tous nos amis sont partis de Leeds en fait. C’est très bizarre de revenir ici parce que qu’on connaît toutes les rues, on sait comment aller de tel endroit à tel endroit, on sait que tel bus t’emmène dans la campagne, mais à côté de ça, on ne connaît plus personne.
Vous jouez au Cockpit ce soir (le concert a eu lieu le 28 octobre, ndlr) et vous disiez tout à l’heure que c’est une salle dans laquelle vous alliez voir des concerts quand vous étiez encore étudiants ici. Ça fait quel effet d’être maintenant le groupe que tout le monde vient voir ?
Gus – Je me souviens qu’on est tous allés voir le concert de Naked & Famous dans cette salle. C’était il y a à peine un an et demi. A l’époque, nous n’avions pas encore de label. C’est ce soir-là qu’on a eu un premier aperçu de ce qu’était un groupe en tournée, de l’organisation que ça demandait : on a vu leur équipe, leur van. Je me rappelle m’être dit que ça avait l’air cool, que moi aussi je voulais un van comme ça… Et maintenant, on a un tourbus (rires).
Vous avez passé presque toute votre année sur la route. Comment avez-vous vécu ce changement de vie ? Qu’avez-vous appris cette année ?
Gwil – Mon métabolisme a changé (rires).
Joe – Quand tu tournes autant qu’on l’a fait cette année, tu as deux solutions : soit tu te laisses bouffer par la tournée, soit tu prends le dessus et tu encaisses. On a appris à prendre le dessus très vite.
Gus – Pour moi, je crois qu’il y a eu un tournant au mois d’août. On était à Los Angeles, je vivais très mal de décalage horaire, j’étais épuisé et je trouvais la tournée très dure à gérer. Je parlais de ça avec Joe dans la loge et je me suis effondré en larmes, j’ai craqué. Le jour d’après, quand je me suis réveillé, ça allait mieux, comme s’il avait fallu que ça sorte pour que je puisse enfin affronter tout ça sereinement. Je crois qu’on a tous changés depuis la fin de cette tournée américaine et celle des festivals d’été. Même d’un point de vue technique. J’ai le sentiment qu’on a enfin trouvé la clé pour que ça fonctionne sur scène. On est plus confiants. On sait qu’on peut donner un bon concert qui mérite que les gens viennent nous voir alors qu’avant, on avait l’impression d’être des imposteurs.
Joe – Oui, j’ai le sentiment qu’on a quelque chose à montrer aujourd’hui. Avant, on était encore en plein apprentissage. On a appris à jouer sur la route.
C’était effrayant de se lancer dans cette interminable tournée sans vous sentir humainement et techniquement prêts ?
Gwil – C’est terrifiant. Certaines chansons de l’album ne sont pas reproductibles sur scène. Il a fallu apprendre à jouer nos propres chansons. Je commence à peine à me dire que c’est mon métier, que je suis musicien, alors qu’avant, je ne savais pas bien ce que je foutais là. Je suis heureux d’avoir passé ce cap. Ça veut dire que je n’ai plus la trouille de monter sur scène. Avant, quand on devait jouer le soir, je passais la journée à flipper. Maintenant, je le vis plutôt bien.
Joe – Pour moi, tout a commencé au début de notre tournée avec Ghostpoet. Ce soir-là, on a joué l’album purement et simplement. Quand je repense à ce concert et que je vois où on en est aujourd’hui, je me dis que d’un point de vue musical, on a parcouru un sacré chemin. On a encore beaucoup à apprendre, beaucoup de choses doivent évoluer mais je sens qu’on a enfin confiance en ce qu’on fait.
Gus – C’est quelque chose que nos familles et nos amis nous ont dit aussi, qu’en quelques mois, on avait beaucoup évolué. Ceux qui nous ont vus il y a trois mois et qui nous revoient aujourd’hui pensent que nous sommes un groupe différent. Sans vouloir être prétentieux, je pense que dès le début, on avait nos chansons, mais on ne savait simplement pas comment les jouer, comment se comporter sur scène.
Vous semblez tous très bien vous entendre. Est-ce que vous avez eu ce sentiment d’être tous les quatre dans le même bateau, de devoir vous serrer les coudes pour apprendre à gérer une tournée, à jouer en live ?
Gwil – Peut-être un peu, mais je pense qu’au début, on a tous surtout ressentis la pression d’être signé sur un label, d’avoir un management, une équipe derrière nous. Tu te dis « il faut qu’on le fasse, on n’a pas le choix« . A force de jouer, on a arrêté de penser comme ça parce que c’est devenu notre quotidien.
Lorsqu’on s’est rencontrés pour la première fois à Manchester en mai dernier, on avait parlé de ce que c’était, pour un tout jeune groupe, de découvrir l’industrie de la musique. Quel regard portez-vous sur elle après ce que vous avez vécu cette année ?
Joe – On a évidemment beaucoup appris des ficelles de ce milieu cette année, mais je crois que ce qui nous a le plus facilité la tâche, c’est d’être des gens polis et patients. Ça nous a aidés à appréhender ce monde-là.
Gus – On a passé l’année à demander des conseils à tous les gens qu’on a rencontrés. Malgré la tournée, on a continué à suivre toute la gestion du groupe, à lire toute la paperasse, ça nous a beaucoup appris. En automne dernier, quand on a fait notre première tournée anglaise seuls, on a tout géré nous-même aussi. On calculait les budgets, on gardait nos reçus… Ça nous a permis d’appréhender notre première tournée avec une équipe d’une manière plus adulte je pense parce qu’on savait déjà ce que ça impliquait, combien ça coûtait. Ça nous a aussi évité d’être trop impressionnés ou de faire confiance à n’importe qui.
Et de tomber dans le cliché du groupe en tournée complètement babysitté ?
Joe – Non, non, on est complètement babysittés en ce moment. Les gens nous tiennent la main pour traverser la route… (rires).
Gwil – Partir en tournée sans tour manager nous a permis de comprendre à quel point c’est dur d’être tour manager. C’est bien qu’on ait vu ça, ça nous a aidé à comprendre beaucoup de choses.
Gus – On sait ce que c’est de devoir discuter avec un promoteur, d’organiser le rangement du matos à la fin du concert parce qu’on a dû le faire nous-même avant.
Comment avez-vous vécu le succès de votre album, d’être passés si rapidement du statut de quatre potes qui jouent leurs chansons dans une cave de Leeds à celui de groupe perpétuellement en tournée et nominé au Mercury Prize ?
Gus – C’est toujours nous quatre finalement. On a passé l’année sur la route, on n’a pas eu le temps de voir ce qu’il se passait autour de nous.
Joe – On est loin de toute l’attention qu’on nous porte finalement. On a cette barrière – que l’on n’a pas installée intentionnellement mais qui est là parce que la tournée veut ça – qui nous protège de toute l’effervescence qu’il y a eu autour de nous. On vit au jour le jour depuis le début de l’année.
Gwil – J’ai l’impression qu’on est toujours un peu largués sur ce qu’il se passe. Quand on arrive à un festival et qu’un journaliste nous demande quel groupe on a envie de voir aujourd’hui, en général, on ne peut même pas répondre parce qu’on n’a aucune idée des groupes qui jouent ce jour-là. C’est presque embarrassant.
Joe – C’est bizarre oui parce que la plupart du temps maintenant, on en vient à ne même plus savoir où on joue le soir. Et puis une fois qu’on arrive à la salle, on se reprend et on joue le jeu.
Vous avez réussi à garder une vie sociale en dehors du groupe ?
Gus – Non, pas vraiment. On se sent un peu déphasé par rapport à nos potes.
Joe – Parfois, je reçois un texto d’un ami et la seule réponse que je peux lui donner c’est « salut, je suis content d’avoir de tes nouvelles mais on ne pourra pas se voir avant deux mois » ou « désolé, je ne pourrai pas aller boire un verre avec toi demain parce que je serai à Dallas« . Ce n’est pas évident.
Gus – Notamment parce que certains le prennent mal, genre « ah ouais, Gus ne donne pas de nouvelles parce qu’il est trop occupé avec son groupe« . Ce n’est pas que je ne veux pas donner de nouvelles, c’est que j’en ai à peine le temps.
Gwil – Je crois que dans l’ensemble, nos potes ont compris qu’on ne le faisait pas exprès.
Joe – Et puis honnêtement, il y a certains avantages à avoir des potes qui sont des énormes rockstar comme nous (rires).
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