En couve des “Inrocks” le 17 juillet, pour leur euphorisant “Metronomy Forever”, la bande de Joseph Mount nous avait déjà enthousiasmé en 2011 grâce à un véritable manifeste de pop moderne : “The English Riviera”. Rencontre.
Tout débute sur des cris de mouettes et un violon mélancolique, avant que ne débute réellement l’album. Soudain, une mélodie surgit de nulle part, chantant la liberté : ce sera We Broke Free, premier titre d’un disque que personne n’attendait, et qui allait pourtant réinventer la pop contemporaine. Metronomy, groupe d’electro réservé aux initiés, devient soudainement une formation capable de réaliser des merveilles et de composer de belles chansons, aussi efficaces que novatrices.
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De la chambre au studio
A quel moment se réveille t-on en se disant “l faut que je change du tout au tout” ? Question ardue, et on ne sait effectivement pas trop ce qui s’est passé dans la tête de Joseph Mount le matin où, soudainement, il est passé du statut de beatmaker de chambre à celui de musicien pop auréolé de succès. Après Pip Paine et Nights Out, Metronomy prend la décision en 2011 de passer de l’ordinateur aux véritables instruments. Machines analogiques, basse, batterie, mélodies et guitares sont ainsi de sortie pour The English Riviera, contenant une flopée de tubes imparables tels que The Bay, The Look ou encore Everything Goes My Way.
La cause de ce changement radical – ou presque – s’explique de plusieurs manières. En 2011, le bassiste Gabriel Stebbing, qui jouera pourtant sur le disque, décide de quitter le trio pour se consacrer à sa propre musique. Metronomy doit donc muter et se reconvertit en vrai groupe, notamment pour les lives. Olugbenga Adelekan remplacera Stebbing, et la batteuse Anna Priori rejoint la formation qui se transforme en machines à tubes. Enfin, la bande de Joseph Mount troque sa chambre contre un vrai studio, et cela pour la première fois.
L’homme décrira d’abord l’expérience comme « horrible », avant de revenir dessus : “C’était très particulier, parce qu’infiniment différent de ce que j’avais connu jusqu’alors. Avant je n’étais qu’un mec qui faisait de la musique dans son appartement. Là, on s’occupait de moi, j’étais entouré par des gens qui étaient prêts à m’aider dans la production, le mix…”
Avec en tête, notamment, un homme : Ash Workman. En 2011, l’ingénieur du son a peu de productions à son actif, mais son travail sur l’album donne une vraie consistance à l’ensemble. Il devient ainsi indispensable à Metronomy (il travaille, depuis, sur tous les disques du groupe) et acquiert un statut de producteur pop incontournable. Christine & The Queens fera appel à lui pour Chaleur Humaine, puis suivront rapidement Frànçois & The Atlas Mountains, ou encore Barbarossa. Ce dernier, auteur d’Imager en 2015, affirme à ce propos : “Je n’ai pas spécialement choisi Ash Workman parce qu’il a travaillé avec Metronomy, mais son travail sur le mix de The English Riviera était superbe. C’est d’ailleurs une des choses qui m’a le plus marqué dans cet album. La production était magnifique.”
Nombre de techniciens s’en inspireront, particulièrement James Ford, d’après Joseph Mount lui-même : “Dans le AM des Arctic Monkeys, j’ai entendu certaines choses qui semblaient venir de mon album. Il n’y a aucune accusation de plagiat là-dedans, bien entendu, mais j’y ai retrouvé certaines idées qu’Ash et moi avions eu.”
Et Barbarossa d’ajouter : ”J’ai passé beaucoup de temps à écouter la production de ce disque, à essayer de savoir quels synthés avaient été utilisés, et de quelle manière. Je suis un grand fan des Juno 60 et des boites à rythmes analogiques comme la Roland TR-808, qui sont très présents dans The English Riviera. J’adore tout cet équipement, et ça a été enregistré de très belle manière. Il y avait aussi d’excellentes idées sur la production de la batterie.”
Montrer les dents, et conquérir le monde
Et puis il y a bien entendu les chansons. Alors que le groupe avait été dès ses débuts étiqueté par la presse et annoncé comme un outsider de la scène nu-rave (menée par Late Of The Pier ou The Klaxons), il lui faut montrer les dents pour prouver qu’il n’est pas qu’un ersatz des formations susnommées. Les quatre Anglais auront à cœur, pour se faire, de composer des mélodies pour toucher un public plus large. Si, en 2008, Nights Out avait connu son lot d’éloges, certaines critiques acerbes n’avaient pas tardé à tomber, et à placer Metronomy comme un groupe mineur.
“J’ai écrit ce disque avec un vrai esprit de revanche” Joseph Mount
Ainsi Pitchfork, apposant une note de 6,6/10 à l’album, pointait-il un “vrai manque de consistance”. Ni une ni deux, Joseph Mount décide de conquérir le monde, et de sortir ce qui reste à ce jour son chef-d’oeuvre : “J’ai écrit ce disque avec un vrai esprit de revanche. Après Nights Out, j’ai lu beaucoup de critiques affirmant que tout le monde pouvait faire ce que je faisais. Il fallait donc que je prouve ce que je valais, et que j’étais capable de faire un album accessible à tous.”
Pari réussi. Le groupe lâche le single She Wants en éclaireur, un titre aussi dansant que lénifiant, à la basse hypnotique. Une grosse surprise pour ceux qui avaient écouté les morceaux précédents. Deux mois après, ce sera The Look, qui recevra une ovation de la part de tous les internets. Le morceau, construit sur le traditionnel dyptique couplet / refrain, est un véritable tube en puissance, à la production ultra-épurée et à la mélodie que le commun des mortels ne peut s’empêcher de siffloter. Ici encore, la chanson semble aussi bien faite faite pour se trémousser que pour végéter au soleil, et parait pouvoir s’adapter à tous les environnements possibles.
L’album sort quelques semaines après et ne fait que confirmer les précédentes impressions : Metronomy est arrivé à maturation, et Joseph Mount est devenu un songwriter exceptionnel. Le disque brille par une homogénéité parfaite, tant au plan des visuels que des chansons ; tout s’enchaine et respire les temps modernes, tout en respectant la tradition.
Allier la modernité au respect des traditions
Chose qu’on retrouvera dans les dires du groupe, qui définira The English Riviera comme “le croisement entre les Eagles et Daft Punk”. S’il ne faut pas passer à côté de l’ironie légère de cette formule, celle-ci résume tout de même assez bien l’album. Chose que reconnait Joseph Mount, avec un large sourire sur les lèvres : “J’aime beaucoup cette phrase ; c’est Oscar qui a dit ça en interview. Au départ, on l’a sorti comme une blague, puis, avec du recul, je me suis rendu compte que ça correspondait assez bien à l’esprit du disque. On ne souhaitait pas du tout le faire au départ, mais on a créé un lien, en quelque sorte, entre le songwriting classique et la musique électronique. C’est là que réside la force de The English Riviera.”
Lien qui existe au niveau des chansons et de leurs structures résolument pop, mais aussi sur le plan de l’album, pris dans son intégralité. Des mouettes en introduction, un palmier sur la pochette, un titre sous forme de slogan publicitaire : le thème central du disque est sans conteste la mer, et les côtes anglaises.
A l’instar des Eagles avant eux, Metronomy lance ici un hommage à sa région d’origine, le Devon, et fantasme la West Coast américaine. L’on pourrait donc citer les Eagles comme influence de The English Riviera, mais aussi les Beach Boys et, plus étonnant encore, Stevie Wonder.
C’est en tout cas ce qu’affirme la tête pensante du groupe, notamment à propos de la chanson Everything Goes My Way : “Je l’ai mise en troisième piste du disque sous l’influence de Wonder et de son album Talking Book. Il avait placé You Are The Sunshine Of My Life en ouverture, et l’entremêlement de voix qu’on y trouve décontenance beaucoup l’auditeur ; c’est exactement ce que j’ai cherché en faisant chanter Roxanne (ndlr : Clifford, la chanteuse de Veronica Falls).” On retrouve d’ailleurs la douceur rythmée qui émane des chansons du soulman dans celles du Britannique, qui a ainsi fait de The English Riviera une bande-son estivale idéale.
Au niveau de l’esthétique, qui concerne aussi bien les visuels que la production et les chansons, Metronomy se place ici comme un groupe résolument contemporain et obsédé par le mot épuré, adjectif qui pourrait d’ailleurs définir l’ensemble de la production artistique de ces deux derniers siècles. En cherchant avant tout à ne pas saturer ses chansons de dizaines de pistes, la formation britannique a donc trouvé sa direction ; celle qui consiste à ne laisser que l’essentiel et à gommer le superflu, jusqu’à atteindre la perfection. C’est là une obsession bien moderne, qui s’étend à bien d’autres domaines que la musique et l’art en général.
Ainsi, en 2011, le groupe prend sa revanche en sortant ce qui restera comme l’album d’une année pourtant plutôt riche en belles parutions (The Kills, SebastiAn, Kanye West & Jay-Z…). Ce manifeste de pop moderne qu’est The English Riviera influencera nombre d’autres artistes, et le leader du Metronomy l’admet : “Si les chansons étaient, je crois, très bonnes, c’est avant tout la production qui s’est avérée être la meilleure réussite du disque.” Pour Summer 08, Joseph Mount reviendra dans sa chambre. Il replongera dans ses souvenirs et balancera une ode à une époque désormais révolue. Après le présent et le passé, ne lui reste ainsi plus qu’à explorer l’avenir : Metronomy accédera définitivement au statut de machine à voyager dans le temps.
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