Pas assez électro pour la génération french touch, pas assez rock pour le public qui suait sur les guitares électriques dans les années 2000… Pour Phoenix, le succès est enfin venu comme un boomerang des Etats-Unis pour son quatrième album, un classique de la pop. Ni électro, ni rock et pourtant tout ça à la fois : au-dessus de la mêlée, en somme.
Phoenix Mégalo ?
Wolfgang Amadeus Phoenix. Le nom du quatrième album du groupe français avait de quoi faire frissonner. En cette année 2007, allait-il revenir à travers des symphonies ampoulées ou des concertos pour clarinettes, tout en s’affichant poudré et perruqué comme dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola quelques années plus tôt ? Pire, Phoenix ne serait-il pas atteint d’une forme de folie des grandeurs, d’une mégalomanie artistique qui allait voir ces froggies tenter de se faire aussi gros que tous ces nouveaux rockers qui tapaient à nouveau le bœuf façon Strokes ? C’était bien mal connaitre les quatre Versaillais qui, outre une formidable modestie, n’ont toujours fait confiance qu’à leur instinct. Ce qui cette fois leur a diablement porté chance. Tout a justement démarré par ces trois mots : Wolfgang Amadeus Phoenix. « Dès que les garçons ont trouvé le titre, ça m’a libéré » explique Philippe Zdar, producteur de l’album arrivé à mi-parcours.
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« C’était aussi une période de transition car on avait atteint la fin de notre contrat avec notre maison de disques et on montait notre label. On avait un sentiment de liberté. »
Branco
Depuis des mois, le groupe compose, avance, tâtonne, recule, comme à son habitude. Sur le précédent, It’s Never Been Like That (2006), Phoenix a battu des records de rapidité, l’enregistrant à Berlin en seulement quelques mois. Pour celui-ci, c’est retour à la case Paris et aux bonnes vieilles tergiversations. « Le mouvement de balancier de la vie fait qu’on a voulu l’opposé du précédent, un son plus sophistiqué résume Laurent Brancowitz alias Branco, guitariste. C’était aussi une période de transition car on avait atteint la fin de notre contrat avec notre maison de disques et on montait notre label. On avait un sentiment de liberté. On a loué une péniche pour enregistrer, avant de nous retrouver au bout de quelques mois chez Philippe. »
Philippe Zdar, le guide
Au départ, la moitié du duo Cassius ne fait que louer son studio au groupe. Il y passe régulièrement pour suivre l’avancée des travaux qu’il effectue suite à une inondation et pour accéder à sa collection de disques. La petite musique en gestation de Phoenix lui monte vite aux oreilles. Tout commence par des discussions entre potes où il échange des idées, qui se transforment en conseils judicieux qui aident à sortir les musiciens des culs-de-sac où ils s’enferment trop souvent.
« Philippe a été une sorte de guide ajoute Branco, avec beaucoup de recul et d’efficacité. »
Branco
Le groupe lui propose d’officialiser leur relation et de l’embaucher comme producteur, lui qui avait déjà travaillé sur le single If I Ever Feel Better de leur premier album United, avantage énorme pour qui doit s’immiscer dans une amitié de groupe née à l’adolescence. « Mon job et ma passion, c’est de savoir choisir, d’avoir un avis sur tout poursuit Zdar. Là, il se trouvait que mon avis réglait les problèmes. » « Philippe a été une sorte de guide ajoute Branco, avec beaucoup de recul et d’efficacité. »
Avec lui, Phoenix avance et met peu à peu au propre ses brouillons de chansons. « Avec le nom de l’album, tout est devenu clair, comme si on avait le cadre pour un film ou pour un livre. C’était beaucoup plus simple dans les moments de perdition inhérents à la fabrication d’un disque. On pouvait se demander si tel truc était vraiment Wolfgang Amadeus Phoenix » Ce titre affiche aussi des ambitions. « Tout le monde savait que ce disque était fort. Du coup, lui donner un titre un peu pompeux qui pouvait être mal pris, alors que Phoenix est un groupe discret et gentil, ça me permettait de penser qu’on était sur la bonne voie. A travers lui, on montrait qu’on voulait tout casser. »
Comme d’habitude, Phoenix ne sait quitter le studio, comme atteint par le syndrome du travail jamais fini, des morceaux à éternellement améliorer, fignoler, dépasser, histoire de toujours mieux. Zdar s’avère une nouvelle fois déterminant. En novembre 2008, il s’offre des vacances à Ibiza qui lui servent de révélateur. « J’ai embarqué le disque dans l’état où il était, sachant qu’il restait beaucoup de travail. On l’a mis dans la voiture, baissé les fenêtres… Il faisait beau et j’ai compris que c’était un disque de printemps. En rentrant, j’ai dit aux garçons d’étudier les conditions pour le sortir en mai / juin. Ils m’ont fait confiance et on a bossé les trois derniers mois comme des malades pour être dans les temps. »
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Le carton 1901
Album quasi estival éclos le 25 mai 2009, Wolfgang Amadeus Phoenix se voit précédé dès février du titre 1901 que le groupe offre en téléchargement gratuit sur son site fraichement refait à neuf, cadeau d’un groupe maître de ses faits et gestes. « Le morceau a immédiatement cartonné alors qu’aucun de nous ne le voyait comme un single » s’étonne encore Branco. Sitôt 1901 sur les disques durs des fans du monde entier, les propositions affluent… outre-Atlantique. Fin avril, Phoenix devient le premier artiste français à jouer dans le célèbre show Saturday Night Live. « Le deuxième après les Gipsy Kings » rectifie Branco. Ce passage fait grimper leur notoriété aux États-Unis et leur permet de travailler au mieux la sortie de l’album. « On l’a fait écouter à des maisons de disques pour ne pas signer sur l’idée qu’elles avaient de nous mais sur notre album tel qu’il était. »
« On chantait aussi en anglais des thèmes spécifiquement européens comme Rome. Soit l’inverse des yé-yés qui chantaient en français des clichés américains comme les Cadillac. Et ça a marché car ça leur a paru exotique. »
Branco
L’expérience américaine ne fait que commencer pour le groupe, véritable phénomène pop avec cet album qui poursuit le travail entamé aux US par son prédécesseur. Le public qui les a découverts à la télévision fond sur les frenchies comme des ice-creams au soleil. « Personne n’aurait pu croire que des thèmes comme Liszt parleraient aux Américains. En composant, on pensait beaucoup à Kraftwerk, un des seuls groupes d’Europe continentale à avoir créé une sorte d’imagerie et de mythologie qui n’est pas une copie de trucs anglo-saxons. Ils étaient dans des histoires sur la Ruhr, les autoroutes… On chantait aussi en anglais des thèmes spécifiquement européens comme Rome. Soit l’inverse des yé-yés qui chantaient en français des clichés américains comme les Cadillac. Et ça a marché car ça leur a paru exotique. »
Le tampon Grammy Awards
Les mois qui suivent servent à capitaliser sur ce succès inespéré qui se solde par une consécration. Aux Grammy Awards, en janvier 2010, le groupe reçoit la récompense du meilleur album de musique alternative. « C’est dingue à dire mais c’est le genre de tampon qui a de l’importance, surtout aux Etats-Unis. Et pour une fois, on était classés dans la bonne catégorie et non en meilleur album électro » en rigole encore Branco. Phoenix peut alors voir big, very big. Le 18 septembre, le groupe s’offre le stade mythique de Los Angeles, le Hollywood Bowl, avec des premières parties classe qu’il a lui-même choisies, Girls et Grizzly Bear. Dans le public, deux amis de très longue dates venus incognito, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. En les rejoignant dans les loges, les Daft Punk font jaillir des étincelles dans les yeux des Phoenix. « La dernière fois qu’on avait joué ensemble, c’était en 1992 à la Fête de la Musique à Versailles. Mon frère Branco jouait alors avec eux dans Darlin’ » se souvient Christian Mazzalai, l’autre guitariste de Phoenix. Tous fomentent une apparition surprise du duo pour le concert du Madison Square Garden de New York, dix jours plus tard. « On a tenu leur participation secrète, y compris pour les Dirty Projectors qui jouaient en première partie. Le plus drôle, c’est que personne ne les a vus ni avant, ni après le concert. On faisait la fête et les Dirty Projectors nous demandaient où étaient les Daft alors qu’ils se tenaient juste à côté d’eux. »
Peu importe que six ans plus tard, on ne se souvienne que de l’apparition de leurs potes casqués. « Le concert affichait complet mais nous n’avons pas gagné d’argent car nous avons tout misé pour que le son soit fou. Idem pour le light-show car le plafond avec une voûte céleste comme un planétarium a coûté une somme énorme. Le truc marrant, c’est que personne ne l’a vu à part les Daft ! » L’histoire se souviendra que Phoenix restera le premier artiste français à l’affiche de la salle, devant 20.000 spectateurs. Toute cette ardeur du public, cette chaleur humaine et ces projecteurs n’empêchent pas Phoenix de garder la tête froide et de penser dès 2011 à l’album suivant, une œuvre à l’humeur plus distante.
« Rétrospectivement, Bankrupt! affiche une tonalité un peu bizarre, comme beaucoup de disques post-succès un peu teintés de cette sorte de résistance au monde, de méfiance aussi. Car on a été contact avec une chose dont il faut un peu se méfier, cette gloire qui, dans notre cas, n’a heureusement pas bouleversé notre vie quotidienne. » Cette fois, une collaboration est d’emblée décidée avec Zdar pour qui la cote de producteur a clairement grimpé en flèche. « Wolfgang Amadeus Phoenix a tout changé pour moi. Quand j’ai demandé à Adam Yauch des Beastie Boys pourquoi ils m’avaient engagé, il m’a répondu qu’il écoutait Wolfgang Amadeus Phoenix en boucle depuis trois mois à cause de sa fille, qu’il trouvait le son dément et les basses énormes. Un jour, on m’appelle pour Cat Power qui me dira dit avoir écouté l’album des Beastie Boys et avoir cherché qui l’avait réalisé. Ça fait partie de ces moments fous dans une carrière qui te propulsent tout d’un coup très loin. »
« Quand on a commencé à faire de la musique, on n’avait notre place nulle part »
Branco
Pour tous, il y aura donc eu un avant et un après Wolfgang Amadeus Phoenix. « Quand on a commencé à faire de la musique, on n’avait notre place nulle part » sourit Branco. L’album a offert à Phoenix une magnifique conquête de l’Ouest et une place au soleil international sous lequel il dore pour encore quelques années.
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