Au milieu des années 2000, quatre gamins du nord de l’Angleterre font leur entrée dans un paysage rock en plein renouvellement. La story Arctic Monkeys démarre et la mythologie pop contemporaine s’en voit bouleversée à jamais.
Putain, les années 2000 ! C’était hier mais on en parle déjà comme d’un continent submergé, avec ses petites histoires dans la grande, ses retours de hype et ses anniversaires inévitables. Hasard du calendrier, les 30 ans des Inrocks correspondent aux 10 ans de Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not, premier album d’Arctic Monkeys, paru le 23 janvier 2006.
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A l’époque, une révélation. Depuis Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, le phénomène Arctic Monkeys a maturé pendant l’année 2005 au gré du bouche à oreille et des articles du NME, pour finalement accoucher de quelques événements clés : une signature, en juin, sur le label Domino (le groupe a dit “non” aux majors), un concert désormais mythique à l’Astoria de Londres, en octobre, et puis la constitution d’une fan base massive dans un pays en manque d’icônes depuis la grande époque britpop.
En France, le raz-de-marée atteindra les esprits dans la foulée, le temps de comprendre la singularité de ces quatre post-ados issus de la working-class anglaise, qui véhiculent l’imaginaire d’un monde glauque et romantique typiquement britannique (coucou les Smiths, Pulp et The Streets).
Une vision musicale brute
Pour capter un minimum ce que les Anglais ont vécu en 2005, les points de comparaison ne pleuvent pas. Ici, pensez à Fauve ≠ en 2014, soit l’arrivée sur le circuit d’une bande de mecs très “normaux” portés par une vision musicale brute et des textes personnels, voire intimes, et dont la réputation s’est faite au fil des mois usés à écumer les petites scènes où chaque passage est un traumatisme fait d’excitation et de joie irrépressible. Leur point commun ? Etre complètement dépassés par ce qu’ils font et combler un manque que personne n’avait identifié jusqu’alors.
Fin 2006, Alex Turner – la tête pensante d’Arctic Monkeys – déclarait aux Inrocks : “Nous étions certains que des groupes (comme le nôtre) qui racontent leur quartier, leur quotidien, il en existait partout, mais soudain, nous nous sommes rendu compte que nous étions les seuls à Sheffield. Puis les seuls dans le Nord. Puis les seuls en Angleterre…”
Ce groupe, c’est la jeunesse même
A la différence des autres groupes de rock des années 2000, qui renvoient une image assez chic (comme Franz Ferdinand) ou qui rassemblent des gens très bien nés (une pensée aux Strokes), les rockeurs anglais se mettent en scène tels qu’ils sont vraiment, sans jouer ni la carte de la décadence, ni celle de la posture néomod.
Dans la vidéo de I Bet You Look Good on the Dancefloor, leur tout premier single officiel, on voit Alex Turner et sa bande avec des looks d’une banalité désarmante ; le style vient clairement d’ailleurs. Il y a chez eux toute l’insolence, l’énergie, la nonchalance, la sauvagerie de leur âge – ce groupe, c’est la jeunesse même.
Les moins de 20 ans auront vite fait de se passionner pour la démarche et l’esthétique d’Arctic Monkeys, dont les premiers morceaux s’échangent entre fans connectés à MySpace. Rapidement, certains voudront en faire “le premier groupe à succès venu d’internet”. Une étiquette que les quatre garçons ont toujours rejetée en bloc, vexés de voir effacée une réputation venue plutôt de la scène.
Cette volonté d’en faire un exemple de contemporanéité sera également nuancée par les ventes de Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not, qui s’écoulera à plus de 350 000 exemplaires en Angleterre la première semaine (un record historique pour un premier album, battu depuis par… Susan Boyle, révélée par l’émission Britain’s Got Talent).
Quelques couacs fondateurs
Après ça, difficile de tenir les comptes : l’album est devenu un best-seller du catalogue Domino et continue de se vendre, dix ans après, de façon régulière. Rien de très représentatif de l’économie musicale en ce début de XXIe siècle. En France, au moment de sa sortie, l’album n’arrivera qu’en 17e position dans les charts. La réputation d’Arctic Monkeys se fera progressivement, non sans quelques couacs fondateurs.
Nous sommes en novembre 2005 : suite à une annulation, le groupe est programmé en urgence au Festival des Inrocks, à l’Olympia, en première partie d’Antony And The Johnsons. C’est le premier concert des garçons en France. Et ils ont beau tenir leur réputation de fougue sur scène, le public n’est pas venu pour ça et leur réserve un accueil plutôt frais. Déjà habitué à voir les salles hurler ses paroles, le groupe repart sans comprendre.
Toujours en 2005, au mois de décembre, la team revient à Paris pour rencontrer des journalistes français pour la première fois – une poignée seulement, le groupe refusant (à l’époque) de parler à des journaux non spécialisés. C’est Christophe Moracin, du bureau français du label Domino, qui est chargé de les accueillir. Et ce qui devait arriver arriva : “On les récupère le matin, ils vont fumer une clope et là, ils disparaissent. On a passé la matinée à recevoir les journalistes en espérant qu’ils reviennent. Et puis, les heures ont passé, les journalistes étaient toujours là, quasiment tous pour des sujets de couve… Le groupe a fini par se montrer en fin de journée. Ils se sont un peu fait engueuler… On aurait dit quatre gamins désolés : ils voulaient juste voir la tour Eiffel.”
“Aujourd’hui, Alex assume sa position de rock-star” Matthieu Bourrit (Domino)
C’est un peu ça l’histoire des Arctic Monkeys à l’époque de leur premier album : une bande de sales gosses qui n’ont pas fait exprès d’être là et qui ne comprennent pas pourquoi le monde entier les regarde désormais. La réalité les rattrapera au cours de l’année 2006, durant laquelle tout s’emballe : une tournée sans répit, la pression grandissante des fans et des récompenses qui se multiplient (ils recevront le prestigieux Mercury Prize, et le NME placera Whatever… en 5e place de son classement des meilleurs albums britanniques de tous les temps, entre Never Mind the Bollocks des Sex Pistols et Modern Life Is Rubbish de Blur).
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Ce succès inouï, un des membres du groupe ne le supportera pas : Andy Nicholson, bassiste, déclare forfait juste avant de partir en tournée aux Etats-Unis. Il rentre à Sheffield et fait le DJ dans les clubs du coin, trois ans après les premiers concerts d’Arctic Monkeys dans la ville.
Une décennie plus tard, le groupe refuse de parler de son premier album. Il en a sorti quatre depuis et Alex Turner dévoilera, en 2016, un deuxième album de The Last Shadow Puppets, le side project qu’il a lancé dès 2007. Chez Domino, Matthieu Bourrit regarde grandir celui qui a bouleversé l’histoire du label. “Aujourd’hui, Alex assume sa position de rock-star. Il est entré dans un rôle et avance sans regarder vers le passé.” Avec ses potes d’enfance, il est trop occupé à écrire le futur.
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