La fin des années soixante est une période difficile. Le succès semble impossible. Le trio Wailers (Rita Marley remplace Bunny) grave pour Wail’n Soul’m la version originelle de Don’t Rock My Boat, délicieuse déclaration d’amour dans laquelle Bob exhorte sa compagne à ne pas secouer son bateau’. Réenregistré en 1978, le titre deviendra un succès […]
La fin des années soixante est une période difficile. Le succès semble impossible. Le trio Wailers (Rita Marley remplace Bunny) grave pour Wail’n Soul’m la version originelle de Don’t Rock My Boat, délicieuse déclaration d’amour dans laquelle Bob exhorte sa compagne à ne pas secouer son bateau’. Réenregistré en 1978, le titre deviendra un succès mondial sous le nom de Satisfy My Soul.
Cinq titres d’inspiration biblique sont inclus ici : le cantique The Lord Will Make a Way Somehow, Adam and Eve (qui contient le vers ?la femme est à la racine de tous les maux??), Thank You Lord, Selassie Is the chapel et une troisième version de This Train. Trois de ces titres sont financés par Ted Pouder, un producteur hollandais de passage qui produit aussi l’excellent Wisdom, une des plus belles compositions des Wailers (« la destruction du pauvre, c’est la pauvreté, la destruction de l’âme, c’est la vanité« ). La vocation spirituelle de Marley se dévoile : faire connaître la culture rasta qui se répand comme une traînée de poudre en Jamaïque depuis la visite officielle de Hailé Sélassié, empereur d’Éthiopie, en avril 1966. Pour les rastas, Sélassié est à la fois le roi africain, annoncé par Marcus Garvey dans les années 1910, venu libérer son peuple et le lion conquérant des tribus de Juda qu’évoque la Bible.
A l’automne 1968, Bunny sort de prison après avoir purgé une peine pour détention de chanvre et les Wailers publient leur premier manifeste rasta, Selassie Is the Chapel. Les voix et une guitare sèche se placent sur un rythme de tambours joué par Ras Michael et les Sons Of Negus. Le rythme, qui fait appel aux tambours africains burrus, ou kette drums, dont la tradition a survécu dans les parties les plus rurales de l’île, est exemplaire du seul style musical spécifiquement rasta. Ce genre à part entière, intitulé le nyabinghi, se retrouvera plus tard dans les célèbres Rastaman Chant (sur Burnin’, 1973), Time Will Tell (sur Kaya, 1978) et Babylon System (Survival, 1979). Les tambours rastas nyabinghi comprennent le tambour basse, à plat au sol, frappé d’un maillet doux, le fundeh, long et fin, en métal et peau de bouc, et le petit repeater en peau de brebis.
Fauché, la mort dans l’âme, Bob part à Philadelphie en 1969 pour travailler en usine. Il revient fortement influencé par le message des Black Panthers, alors en plein essor aux Etats-Unis. L’influence de James Brown se fait sentir ici avec une adaptation de son (Say It Loud) I’m Black And I’m Proud que Bob rebaptise Black Progress. Ce morceau génial, inconnu jusqu’en 1997, annonce le reggae moderne avec sa ligne de basse monumentale et sa rythmique minimaliste. Il s’agit de la première collaboration avec les frères Carlton et Aston Barrett, batteur et bassiste de choc qui figureront désormais sur presque tous les disques de Marley, jusqu’à sa mort. Ces deux musiciens essentiels appartiennent au groupe de Lee « Scratch » Perry, les Upsetters. Les Wailers reprennent le refrain du I Feel Alright de James Brown (Live At The Apollo) pour leur composition Feel Alright. Une tentative de chanson commerciale, chantée par Peter et Rita, est présente ici avec un bel arrangement reggae de The Letter des Box Tops. Des compositions divinement inspirées, comme Tread Oh (Bunny) ou Trouble on the Road Again (Bob), frappent tout aussi fort. Des styles très différents, du nyabinghi au R n’B via le reggae se mélangent avec bonheur et témoignent d’une ouverture d’esprit musicale typiquement jamaïcaine. Le dub (Black Progress), quant à lui, est caractéristique de l’édition musicale jamaïcaine : depuis 1971, les faces B des 45t locaux comportent toujours une version dub. Or, la plupart de ceux de Bob Marley & the Wailers n’ont jamais été mis à la disposition du grand public. Un album décalé, très intéressant.