Croisement hybride entre le post-rock lunaire des allemands de Notwist et la fronde lo-fi des rappeurs de Themselves, le projet 13 & God étonnera même les plus blasés. Rencontre avec le leader de Themselves, Dose One, qui nous raconte cette collaboration atypique. En prime, deux titres en écoute.
Il faut un sacré culot, ou tout du moins une véritable envie de bousculer ses habitudes, pour se lancer dans un projet comme 13 & God. A l’origine, comme nous l’explique le volubile Dose One ci-dessous, cette collaboration repose sur l’admiration mutuelle de deux groupes aussi éloignés géographiquement que musicalement, The Notwist et Themselves.
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Les premiers sont allemands et ont peu à peu, dans le cours de leur déjà longue carrière, évolué d’un hardcore primaire en un hybride de post-rock, d’electronica et de pop. En multipliant les projets et les groupes (Console, Ms John Soda, Lali Puna ), les frères Markus & Micha Archer et leur collègue Martin Gretschmann ont appris à toujours remettre en cause leurs acquis. Un parcours exemplaire qui a culminé en 2002 avec le génial Neon Golden, l’un des tout meilleurs albums de cette année là.
Les seconds sont américains et sont les fers de lance d’un des labels les plus innovants de notre époque, Anticon. A trop malmener le hip-hop, ce trio mené par l’intriguant Dose One, déjà croisé dans l’un des groupes fondateurs du label, cLOUDDEAD, l’a rendu définitivement méconnaissable. Fantomatique et désespéré, empruntant à l’ambiant, à l’electro et au rock, le tout dans une esthétique lo-fi de bon aloi, le hip-hop de Themselves donne régulièrement la chair de poule.
En réunissant ces deux formations, le but avoué était d’inventer un nouveau langage. Pari presque réussi sur ce 13 & God, premier album d’une collaboration qui devrait continuer d’ici peu. Dose One, leader des Themselves nous raconte cette rencontre atypique, récemment mise à mal par un accident de la route qui a laissé le clavier de Themselves, Dax Pierson, a moitié paralysé. Afin d’agrémenter la lecture de cette interview, découvrez deux titres en écoute de 13 & God, Superman on ice et Men of Station (à découvrir en passant le curseur de la souris sur le bouton AUDIO/VIDEO en haut de page).
Comment est né le projet 13 & God’
Dax était depuis longtemps un grand fan de Notwist. Il m’en parlait tout le temps, mais je n’avais jamais vraiment pris le temps d’écouter. En 2002, lors de notre tournée en Europe, alors qu’on était à table, il a nous a fait écouter Neon Golden. J’ai eu des frissons, je me suis arrêté de manger et je lui ai demandé qu’est ce que c’est que cette merveille ?. Par la suite, on n’a pas cessé de l’écouter dans le bus.
Et c’est à ce moment-là que vous avez rencontré Markus Acher
Il est venu à notre concert à Munich. On s’est rencontré et au bout de quinze minutes, il m a annoncé qu’il avait des morceaux pour moi. Évidemment, je lui ai donné mon adresse sur le champ. On s’est tout de suite fait confiance. En fait, Markus a beaucoup de points communs avec Anticon. Lui aussi a ce même besoin de participer à différents projets, comme Lali Puna. Il fait partie de ces personnes qui se fient aux rencontres et à la musique, pas à un plan de carrière. On a commencé par s’envoyer des démos, avant de faire une tournée en commun en Amérique du Nord. Le moteur de notre bus a explosé et nous nous sommes alors retrouvés au milieu de nulle part au Canada. Ça a fait de nous une famille. C’était vraiment incroyable.
Comment s’est fait l’enregistrement ?
On s’est retrouvé dans la campagne près de Munich, dans une espèce d’entrepôt avec pleins d’instruments. Une véritable synergie s’est créé entre nous six. Tout ce qu’on faisait était parfait, très naturel. C’est le genre de moment où l’on se sent récompensé de faire de la musique, même si on ne va pas gagner des milliards avec le disque. On savait qu’on était au bon endroit en train de faire la bonne chose. C’était merveilleux.
Qu’est-ce que ça vous a apporté de collaborer avec The Notwist ?
Je suis un autodidacte, et quand je fais de la musique, j’ai tendance à ne pas savoir vers où je vais. Alors que sur Neon Golden, il y a tel contrôle… Sans parler de la musique et des compositions, leur style est parfait. Tout est impeccable, fait avec un tel goût. Ils sentent parfaitement quand il faut mettre une ligne de violon.
Comment décririez-vous le disque
Je pense qu’on y retrouve des morceaux de The Notwist, des morceaux de Themselves. Le reste, c’est de la nouvelle musique, comme sur Superman on Ice. Sur ce morceau, vous ne savez plus qui a fait quoi. 13&God, c’est le parfait début d’une collaboration. Chacun a apporté ce qu’il savait faire de mieux, tout en laissant de la place à quelque chose de nouveau.
Ce ne donc que le début de l’aventure avec The Notwist ?
Oui, on va faire une tournée en Europe en juin et aux Etats-Unis en septembre. On va avoir du temps à ce moment-là pour enregistrer de nouvelles choses. C’est quelque chose de naturel pour nous d’évoluer dans différents projets parallèles.
Quel est le sens de ces paroles dans Superman on Ice : « There are footprints embraced far out on the frozen lake face/Depressed and kept from quite some cold ago/And they look brave, dangerous, manmade/The sort of mark one can make on the world » ?
J’étais en train de marché avec ma copine au Canada autour d’un lac gelé. La glace est craquelée de partout, sauf en son milieu où l’on retrouvait 12 traces de pieds. Je me suis dit que c’était comme pour ma carrière. Il y a des traces, disques ou interviews, qui sont gelées pour toujours. C’est parti de là. Je crois que cette chanson est à la fois légère et lourde. Cela traite de ce qui reste dans les mémoires. J’espère personnellement que des choses que j’ai écrites pourront être utile aux gens. C’est l’aspect gratifiant de ce métier. Je ne suis pas rappeur juste pour entendre ma voix.
On retrouve aussi dans ce morceaux des arrangements de cordes magnifiques
Oui, c’est un arrangement qu’avait fait Micha pour un concert, mais il a trouvé ça pathétique et ne l’a jamais utilisé. Il nous l’a envoyé et j’ai tout de suite su que je pouvais faire quelque chose avec ça. Quelqu’un m a dit hier que c’était le Bohemian Rapsody du 21ème sicle (rire). J’en suis vraiment fier.
Dans Walk, il n’y a que des samples’
C’est un grand collage avec des sons. J’avais envie de terminer avec quelque chose de naturel. Tous ces sons ont été collectés à ce moment-là. Je me promène toujours avec un dictaphone, et je voulais capturer quelque chose de réel, et pas qu’une chanson de James Brown.
On y entend notamment un pasteur.
Ca vient d’un documentaire de Werner Herzog sur un pasteur évangéliste qui se dit envoyé par Dieu et qui manipule des gens pour faire de l’argent. A un moment donné, quand Herzog le filme tout seul, on découvre finalement qu’il est tout aussi normal que les autres. C’est vraiment intense. J’y vois un parallèle avec la célébrité. On est tous humains. Cet homme, le pasteur, qui vend toutes ces illusions n’en a finalement pas beaucoup.
Il y a un autre film qui est samplé sur le premier morceau.
Oui, le son est issu d’un très mauvais film de série B, The Crazies. Dans ce film, les gens boivent une eau qui les rend fous. La femme qu’on entend croit aussi qu’elle devient folle, mais ce n’est qu’une impression, parce qu’elle voit tous les gens mourir dans sa ville. Ce n’est pas vrai : elle subit simplement le poids du monde. Il m arrive souvent la même chose quand j’écris. Je suis au soleil en train de siroter un soda quand, tout d’un coup, je me retrouve en train d’écrire des poèmes macabres. Ce sample est une bonne intro à l’esprit de 13 & God. Un esprit lourd dans un c’ur léger. Dans Afterclap par exemple, il y a des paroles très sérieuses sur ces gens qui vendent des chimères dans le show-business. Et en même temps, on chante ça comme un groupe de R&B.
Vous utilisez souvent le thème de la lourdeur, comme dans Men of Station ?
Cette chanson parle des gens respectables, qui travaillent dur, comme des pêcheurs, mais qui, malgré tout ça, ont le c’ur lourd (« We re are not as hell as you »). Quand je suis en tournée, je me retrouve souvent aux toilettes avec des gens de l’assistance. Mon cauchemar est qu’un fan vienne et me dit : « Dans la réalité, tu n’es pas comme sur scène ». J’aimerais plutôt qu’on me dise à quel point je ressemble à mes chansons. Je pense que quand on fait une pop-song, on se doit dire à quel point on se sent lourd.
Pour terminer, on aimerait prendre des nouvelles de Dax
Ca va mieux. Il a été incroyablement fort et courageux. Pour l’instant, il peut bouger son bras. Il faut être patient, sachant que certains marchent à nouveau au bout de deux ans, d’autres pas. Les réponses pour l’aider ont été incroyables. Heureusement que l’on fait quelque chose qui a du sens, car si je travaillais dans une station d’essence, je pense que je me serais déjà jeté par la fenêtre
Avec l’aimable autorisation de La Baleine
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