Tel qu’en lui-même la diversité le change, le jazz en cette rentrée continue à s’enrichir de toutes les cultures musicales, d’Israël à la Finlande, et de toutes les formes, du duo à l’orchestre symphonique.
Joshua Redman & Brad Mehldau, Nearness
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Ces deux-là entretiennent une amitié dont les ramifications sont profondes et qui excède la sphère professionnelle. Avec des esprits aussi supérieurs que Joshua Redman et Brad Mehldau, pareille complicité ne pouvait cependant manquer de devenir musique, et c’est bien ce qui charme à l’écoute de ce magnifique album live, leur premier en commun : l’impression d’une unité acquise par la confiance et la bienveillance plutôt que par la rivalité, la poésie douce des improvisations tentaculaires de Mehldau unie aux vols planés tranquilles et aux blues insouciants de Redman. Un indispensable, à se procurer dès le jour de sa sortie, le 9 septembre.
David Helbock Trio, Into the Mystic
Ouvrir son album par une réinterprétation de la célèbre marche de la 7ème de Beethoven, poursuivre avec des variations sur le thème héroïque de Star Wars pour revenir ensuite au A Child Is Born de Thad Jones, il faut un certain culot. Mais David Helbock est assez malin pour ignorer l’esbroufe et résister au pastiche. Tout au contraire, le pianiste autrichien réussit admirablement à enchaîner ses propres compositions, d’ailleurs superbes, autour de ces thèmes divers, et à bâtir, avec l’aide de Raphael Preuschl au ukulele basse et Reinhold Schmölzer à la batterie, un ensemble homogène et enthousiasmant, plein de surprises et de ravissements.
Nels Cline, Lovers
L’approche pudique, la peinture par touches et la féerie sans ostentation rappellent d’emblée la manière de Chet Baker ou Bill Evans. Cultivant un romantisme non pas timide mais tout d’intériorité, Nels Cline, ici accompagné par un orchestre élargi comprenant cordes, cuivres et vibraphone, réinvente le jazz feutré des années 50 et 60, celui que l’on jouait cool, en marge du bop. 18 titres, pour la plupart des standards, et une magie lancinante, persistante, que le guitariste maintient en fondant ses solos concis dans une très belle matière orchestrale. Sortie le 2 septembre.
Shabaka and the Ancestors, Wisdom of Elders
Sans forcément le savoir, on a beaucoup entendu Shabaka Hutchings au cours des derniers mois. Au sein des furieux Sons of Kemet, c’est lui qui sonnait la charge, et c’est lui encore que l’on a retrouvé à surfer dans les étoiles en compagnie des allumés de The Comet Is Coming. Beau pedigree, avant-gardiste et iconoclaste. Mais avec Wisdom of Elders enregistré en un seul jour avec l’aide de musiciens sud-africains, le saxophoniste anglais monte encore en puissance. Comme possédé par une énergie spirituelle brute, quasi menaçante, Shabaka convoque les transes free au cœur des mystères africains. Fascinante, la vibration qui en résulte magnétise à la façon d’un fétiche impénétrable. A paraître le 16 septembre.
Marius Neset & London Sinfonietta, Snowmelt
A chaque fois, c’est le même éblouissement. Snowmelt a beau constituer le troisième projet publié par Marius Neset en 18 mois, on est à nouveau saisi par la hauteur de ses vues autant que par son swing ardent, rapide et survolté comme les poings d’un boxeur au sommet de son art. Crânement, le saxophoniste norvégien s’est confronté aux tessitures chatoyantes du London Sinfonietta. Il en a tiré d’amples compositions marquées par les modernités percutantes de Bartók, Stravinsky ou Prokofiev, succession de virevoltes barbares et d’apaisements solaires qu’il a lui-même orchestrée avec maestria et un sens aigu du sublime. Une fois encore, on met donc chapeau bas.
Will Calhoun, Celebrating Elvin Jones
Tous ceux qui ont eu le bonheur de le voir un jour sur scène le confirmeront : Elvin Jones, en plus d’être un batteur foudroyant, était un sage charismatique d’une générosité exceptionnelle. Sur les traces de son swing polyrythmique à l’inventivité foisonnante, Will Calhoun, batteur de Living Colour, choisit judicieusement de célébrer moins l’artificier du célèbre quartet de John Coltrane que le batteur-compositeur qui continua de s’accomplir après cette expérience fondatrice. Renforcé par les présences de Jan Hammer et du regretté Doudou N’Diaye Rose, son groupe possède la solidité nécessaire pour recréer au mieux les grands instants du maître, ainsi son monumental Dolls of the Bride.
Avishai Ornoy, Sneakin’ In
La flûte, quand ça joue binaire derrière, se retrouve vite associée à un imaginaire 70s certes sympathique mais suranné. Parce qu’il navigue avec décontraction entre jazz, blues et funk – lui qui vient du classique et est passé par le klezmer ! -, il serait ainsi tentant de rapprocher le style d’Avishai Ornoy de celui adopté par Herbie Mann ou Yusef Lateef dans leurs productions les plus faciles. Mais cette impression ne dure pas. Ici, le groove est contagieux et quant à la simplicité, elle n’est que de façade. Au soprano comme à la flûte, aucun déchet, aucune note en trop dans les saillies d’Ornoy, délectables jusque dans les titres les plus contrastés (Bipolar, First Rain) d’un album décidément futé.
John Scofield, Country for Old Men
Contrairement au jazz, la musique country repose généralement sur des accords non enrichis et des mélodies évidentes. Quand elle consent à se hisser par-delà le sirop, le foin à bestiaux et les costumes à paillettes, elle inspire pourtant un sentiment étrange, mélange de foi innocente et de cafard sans remède, comme si le diable était entré dans la grange et n’allait plus vous lâcher d’une semelle. Un sentiment que John Scofield excelle à transmettre, même lorsqu’il mène son Hank Williams en bop ou reprend le thème traditionnel de Red River Valley en mode néo-punk. Dans sa charrette, le guitariste place encore Dolly Parton, Merle Haggard ou James Taylor, tous réorientés vers des jazz sinueux et imprévisibles. Un album de maître, à paraître le 23 septembre.
Itamar Borochov, Boomerang
Mélopées orientales de la liturgie juive, hard bop trempé au gospel de Lee Morgan, déchirement extra-tonal de John Coltrane, toutes les sources d’inspiration d’Itamar Borochov renvoient à un même émerveillement de la présence du divin dans le monde. Pour le trompettiste israélien établi à New-York, la musique doit traduire cette illumination, recueillir à son tour une trace de cette transcendance, mouvement d’aller-retour qu’il conçoit comme celui d’un boomerang. Aussi le jazz de son quartet impressionne-t-il par sa spiritualité sereine, donnant l’impression, lorsqu’il joue, d’élargir l’espace jusqu’à une beauté limpide. Sortie le 7 octobre.
Iro Haarla, Ante Lucem
Encore un disque symphonique, à croire que pour cette rentrée 2016, de nombreux artistes de jazz se sont lancés le défi de substituer de grands orchestres aux petites formations qu’ils privilégient d’ordinaire. Cette fois, il s’agit d’une oeuvre unique, divisée en quatre parties et brillamment composée par la pianiste et harpiste Iro Haarla. Privilégiant les variations d’intensité et les oppositions de clarté et d’obscurité, Haarla déroule une fantaisie volontiers sentimentale, sorte de songe d’une nuit nordique teinté d’un romantisme qui ne dédaigne pas le fantastique et stimule ardemment l’imagination. A paraître le 2 septembre.
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