La vitalité du jazz est intacte : en témoigne une flopée d’albums qui lorgnent du côté du folk, de la pop et des musiques du monde sans rien sacrifier au swing.
Tigran Hamasyan, Mockroot
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Prolongeant les recherches de son précédent opus (Shadow Theater), Mockroot voit Tigran Hamasyan chevaucher avec toujours plus de fougue à travers la contrée enchantée qu’il affectionne, terre vigoureusement labourée par le fer de ses rythmes barbares. Le sillon qu’il trace s’avère une nouvelle fois fertile en floraisons mélodiques, jaillissements d’enfance fredonnés au coeur de la tourmente, lors de brefs instants d’accalmie. Une vision poétique et musicale absolument sidérante.
Laura Perrudin, Impressions
Avec ses longues courbes et ses tresses dorées, la harpe s’est forgée une réputation d’ensorcellements féminins et de tristesse jetée au vent. Un stéréotype que Laura Perrudin, évacue d’une pichenette dès son premier album solo. Non contente de soumettre des textes de Yeats, Joyce et Shakespeare à ses contorsions vocales et harmoniques, la jeune iconoclaste embarque le jazz dans des sauts d’intervalles contemporains, des grooves r’n’b ou d’insolubles ambiguïtés modales. On s’étourdit ainsi aux mille jeux d’une artiste-équilibriste, à sa radicalité gaie et spontanée – la harpe n’était-elle pas aussi l’instrument de Harpo Marx ? –, toute moderne. A ne pas manquer, le 7 avril au Studio de l’Ermitage.
https://www.youtube.com/watch?v=ab2Nakcs2_w
Wildbirds & Peacedrums, Rhythm
Suivant la route naturellement tracée par leur minimalisme shamanique, Mariam Wallentin et Andreas Werliin dépouillent leur musique jusqu’à l’os dans un quatrième album sobrement intitulé Rhythm. Libérées, exultantes, voix et percussions s’emballent comme autant de machines organiques battant à la pulsation d’un rythme transcendantal. Entre saccage punk et soul sauvage, blues rugueux et danses de totems amérindiens, le disque maintient l’envoûtement jusqu’au bout.
Olivier Sens & Juanjo Mosalini, Discrete Time
Dans leur laboratoire, le contrebassiste Olivier Sens et le bandonéoniste Juanjo Mosalini inventent de curieuses machines à filtrer l’électricité en fines averses, à retranscrire les murmures et les heurts des villes lointaines en sismographies tachycardes, tic-tac du temps qui s’échappe, tangos et milongas qui se dérobent dans des abîmes de solitude. Le silence et le bruit, les intensités, les volumes et les timbres, tout contribue ici à l’élaboration d’une géométrie abstraite et hallucinatoire. Un disque aussi singulier laisse présager un superbe concert, le 6 mars, au Café de la Danse.
Kyrie Kristmanson, Modern Ruin
La voix, pure et gracile, semble venir de loin, avoir longtemps survolé les frimas du Grand Nord et plané entre les cimes des neiges éternelles. Même douillettement lovée dans les clairs-obscurs du Quatuor Voce, elle ouvre sur un espace illimité, eaux froides et hauteurs hantées de solitudes. Avec son nom échappé d’une messe et son allure d’ondine à toque blanche, Kyrie Kristmanson s’abandonne dans Modern Ruin à un romantisme d’autant plus enivrant qu’il demeure drapé d’une invincible pudeur. A goûter le 1er avril, au Café de la Danse.
James Farm, City Folk
Pensé comme un collectif dont chaque membre participe à la composition – chose plutôt rare dans le jazz –, James Farm s’emploie à inventer une musique sophistiquée et vigoureuse nourrie des influences les plus diverses mais solidement ancrée dans des tempos binaires et des thèmes aisément identifiables. Joshua Redman (saxophone), Aaron Parks (piano), Matt Penman (contrebasse) et Eric Harland (batterie) s’ébattent ainsi dans une émulation que l’on devine sereine. De ballades paisibles en grooves millimétrés, ce second album ne se départ jamais d’une classe qui n’a rien d’affecté.
Orioxy, Lost Children
Disque de confidences douces et de frissons imperceptibles, Lost Children explore une trame féerique traversée d’orages, d’angoisses et de désir. Telles des fileuses de conte, la chanteuse Yael Miller et la harpiste Julie Campiche dévident leurs songes en langues étranges (hébreu, anglais, arabe et français résonnent ici comme des idiomes antiques), entre un passé de légende et le flux d’échanges moderne. L’album passe ainsi, comme un enchantement dont on souhaiterait ne pas se réveiller. Actuellement en tournée, Orioxy s’arrêtera au Sunset le 26 mars.
Airelle Besson & Nelson Veras, Prélude
Exercice périlleux que le dialogue nu entre deux solistes. Sans le renfort d’une section rythmique, le swing se montre plus impérieux, et l’imagination mélodique plus nécessaire. En adoptant ce jeu sur le fil, la trompettiste Airelle Besson et le guitariste Nelson Veras tirent le meilleur d’eux-mêmes et livrent, avec Prélude, un premier album passionnant, tout empreint de complicité souriante, et où le silence et le son se livrent à des confidences librement consenties.
Naïssam Jalal, Osloob Hayati
Bien sûr, il y cette superbe photo de pochette où Naïssam Jalal, flûtiste d’origine syrienne, joue contre un pan de mur délabré qui ouvre sur un espace urbain meurtri par la guerre. Il y a aussi le nom du groupe, Rhythms of Resistance, et le choix de titres tels que Beirut et Parfois c’est plus fort que toi. Mais ces reflets d’une conscience à vif ne font qu’entourer le joyau véritable, concentré de beauté grave, de sensibilité écorchée et d’invention mélodique qui vous donne l’impression d’être soulevé par une humanité forte et généreuse, magie rare qui scelle les grands disques. Impossible de passer à côté du concert du 25 mars, à Tremblay-en-France, dans le cadre du festival Banlieues Bleues.
Annique, Heads Up
Passée par l’Académie de Musique Contemporaine avant de s’encanailler auprès de The Streets et Gorillaz, Annique livre un premier album solo qui tient du cabaret hétéroclite où numéros de jazz, soul enfumée, boîtes à musique rétro et pop théâtrale se bousculent dans une atmosphère subtilement empoisonnée. L’effet de kaléidoscope prend, la jeune Anglaise possédant assez de musicalité pour ne pas s’y égarer et d’intrigue pour nous y retenir.
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