Une sélection de ce qu’il se fait de mieux en matière de jazz dans l’Hexagone.
Jean-Pierre Como
Express Europa
Près de vingt ans après un premier trajet sur l’Express Paris-Roma, Jean-Pierre Como, pianiste et membre fondateur de Sixun dans les années 80, retrouve le saxophoniste Stefano di Battista pour poursuivre sur les mêmes rails un voyage au swing très italien, où l’on roucoule avec bonne humeur (superbes voix cousines de Hugh Coltman et Walter Ricci) et où même la mélancolie, quand elle passe, se cueille avec le sourire. A ceux qui se cramponneraient au cliché du jazz comme musique cérébrale, on recommande de s’embarquer à bord de l’Express Europa, il est empli de gaieté – sentiment précieux – et de ripailles musicales généreusement offertes par une accueillante confrérie.
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Virginie Teychené
Encore
A toujours insister sur leurs refrains mémorables et leurs inoubliables performances scéniques, on oublie parfois que les grandes figures de la chanson française possédaient toutes une signature vocale immédiate et une manière propre d’articuler. Cet art, qui exige une rigoureuse précision, la grande Virginie Teychené le maîtrise à la perfection. La pire niaiserie, du moment que cette voix au timbre si finement coloré et si impeccablement déliée s’en emparerait, deviendrait une fleur rare et délicate. Alors, quand il s’agit de Barbara, Ferré ou Bashung, de Vinícius de Moraes et Gershwin, on succombe et on en réclame… Encore.
Eric Le Lann
Life on Mars
Eric Le Lann n’a pas besoin de gammes en cascades, pas besoin non plus d’affecter le détachement ou de forcer l’épure, et puis les poses modernistes l’indiffèrent : jouer juste fait toute son affaire, et c’est bien suffisant pour aller jusque sur Mars. Pour vous en convaincre, écoutez son interprétation renversante de Everytime We Say Goodbye ou portez vos oreilles sur ce Life on Mars sans Bowie ni Mick Ronson, mais qui restitue l’essence mélodique de ce monument, principe d’une science-fiction débarrassée de tout kitsch qui court au long de l’album, témoin l’enivrant Nostalgeek du futur. Sortie le 13 novembre.
Anne Carleton
So High
Plus qu’une collection de chansons, So High est un poème qui brasse de fugaces paysages sensoriels, mémoriels et philosophiques, une œuvre aux semblances de tableau impressionniste pleine de bruissements et traversée de frissons sensualistes. Entre les mots détachés par Edgar Morin et les écarts d’intervalles que franchit en funambule Anne Carleton, une certaine enfance se fait entendre, celle peut-être qui glisse ici, en toute simplicité : “la liberté, c’est de se promener dans un champ”. Le projet a mis du temps à éclore, il est d’une beauté sidérante, qui palpite aux battements du cœur, des murmures du souvenir et de cordes enchantées, songeuses évocatrices d’une infinité de vies possibles.
https://www.youtube.com/watch?v=7FTRCHbsxHs
Géraldine Laurent
At Work
Il est bon parfois de commencer l’écoute d’un album par son dernier morceau, ici une reprise du Goodbye Porkpie Hat, hommage de Charles Mingus à Lester Young avec lequel on a grandi et qui nous est resté intime. Sensualité, lyrisme contenu, tombées de nostalgie et blues à fleur de peau, Géraldine Laurent habille ce merveilleux thème d’une magie à elle, mélange d’attaque très assurée, de suavités charnues et d’écorchures quasi parkeriennes. Pas étonnant alors que le charme se prolonge à l’écoute des compositions vives et colorées d’une musicienne en pleine possession de ses moyens.
https://www.youtube.com/watch?v=yCspmSOje3I
Panorama Circus
Painter of Soul
Entre le pianiste Matthieu Jérôme et l’arrangeur et programmateur Jean-François Blanco, il s’est produit non pas une rencontre mais une collision dont Painter of Soul enregistre les multiples impacts dans une synesthésie hallucinée. Le geste spontané, le choc des atmosphères priment ici, et c’est tout naturellement que l’expérience excède le domaine jazz sans toutefois le dédaigner complètement, en témoignent les contributions inspirées de Thomas de Pourquery, Vincent Courtois et Maxime Delpierre. Les puristes y trouveront sûrement matière à grogner – à quoi serviraient-ils sinon ? – ; les esprits plus ouverts sauront en goûter l’iconoclastie euphorique.
Eric Séva
Nomade sonore
Les mélodies enchâssées d’Eric Séva s’esquissent à la manière d’un horizon sur un espace vierge : on les suit sans se perdre, en s’étonnant toujours du nombre de paysages mentaux qu’elles peuvent susciter. Au bavardage des vanités, le saxophoniste oppose un art de la conversation sensible et bienveillante. Dans sa musique, c’est la rencontre qui compte d’abord, celle avec l’excellent tromboniste Daniel Zimmermann, celle avec le complice Khalil Chahine, dont il reprend deux compositions, ou celle, ancienne et féconde, avec Cabu, l’ami disparu auquel ce Nomade sonore affranchisseur des pesanteurs ordinaires rend un bel hommage.
https://www.youtube.com/watch?v=4sk1TfuOjPo
Olivier Bogé
Expanded Places
On ne rencontre pas souvent en jazz un talent multi-instrumentiste comme celui d’Olivier Bogé, à la fois saxophoniste, claviériste et guitariste, mais aussi homme de culture qui a conçu chaque pièce de son nouvel album en songeant à Hermann Hesse et à sa théorie de la multiplicité du moi. A l’évidence, Expanded Places a été longuement médité pour que puissent y passer, par vagues successives, ces mouvements de l’âme que seule la musique peut transcrire. On navigue ici entre rêveries en apesanteur et fresques introspectives, au fil de visions inspirées qui empruntent aussi bien au folk et à la pop qu’au jazz.
Rémi Panossian Trio
RP3
Diddley beat, claquements de mains, ruptures en tous sens, festivités binaires glissées entre deux courses-poursuites ternaires, clarté constante du phrasé et chausse-trapes humoristiques judicieusement placées ici et là, à suivre le Rémi Panossian Trio dans ses œuvres, on ne s’ennuie guère. Ludique et enthousiaste, groovy et entraînant, RP3 a la limpidité des enregistrements réalisés en pleine confiance, avec un plaisir que l’auditeur ne peut que partager.
The Amazing Keystone Big Band
Le Carnaval jazz des animaux
Deux ans après une relecture réussie de Pierre et le loup, The Amazing Keystone Big Band poursuit son grand détournement en s’attaquant au célèbre Carnaval des animaux. Illustrant un conte drôle et enlevé de Taï-Marc Le Thanh, dit par Edouard Baer avec toute la malice et l’entrain qu’il fallait, l’orchestre réinvente brillamment la partition de Saint-Saëns : ajout de voix, transpositions harmoniques, swing addictif et improvisations débridées, les instruments jouent à l’éléphant, au coucou ou au kangourou avec une jubilation sincère. A recommander aux grands comme aux petits, cela va de soi, mais aussi aux fans de jazz comme à ceux qui, ne l’étant pas, pourraient bien à cette écoute le devenir.
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