Du New Orleans déjanté au classique revisité en passant par le free assumé, des albums et des musiciens puissants à retrouver aussi dans les clubs d’ici et d’ailleurs pour la fin de l’année.
Donny McCaslin, Beyond Now
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Dans la galaxie jazz, Donny McCaslin occupe une place à part : proche collaborateur de David Bowie à la fin de sa vie, il a activement participé à l’enregistrement de son album-testament, Blackstar. Encore sous le choc de sa disparition, le saxophoniste américain lui rend aujourd’hui un hommage courageux, loin des larmes et des chrysanthèmes. Dure et froide comme un météore, anxieuse, détraquée, sa musique gravite entre jazz, post-punk et psychédélisme jusqu’à se confronter à Warszawa, monolithe dépressif de la pop star ultime, qu’il restitue parfaitement, dans sa tremblante émotion. “Beyond Now” dit le titre : ainsi aura été Bowie toute sa vie, ainsi McCaslin peut-il désormais se projeter.
Shai Maestro Trio, The Stone Skipper
Shai Maestro n’a pas 30 ans et sa musique possède une profondeur et une densité qui paraissent venir du fond des âges. Non qu’il feigne une gravité de surface, l’homme est sans doute de son époque. Mais il y a là un toucher, des préférences harmoniques qui semblent rebondir à travers les cercles du temps. C’est d’ailleurs l’idée dominante de ce quatrième album en tant que leader : celle d’un ricochet permanent, depuis un piano étouffé jusqu’aux voix hors-monde de Kalina et Neli Andreeva, depuis les papillonnements conjoints d’un trio en osmose jusqu’aux scintillances oniriques d’une petite valse désordonnée. A ne pas manquer, le 6 décembre, à la Maison de la Radio.
Marc Perrenoud Trio, Nature Boy ; Marc Perrenoud, Hamra
Nature Boy : le standard d’Eden Ahbez qui donne son titre à l’album en trio de Marc Perrenoud pourrait aussi bien le désigner lui-même. Non que le pianiste suisse cultive son étrangeté, comme l’enfant enchanté de la chanson, mais son talent semble si naturel qu’on le croirait échappant en partie à son contrôle. De Nature Boy à Hamra, disque cette fois enregistré en solo, la musique coule des doigts de Perrenoud en torrents intarissables, qu’il s’agisse de standards, de compositions personnelles ou de thèmes de musiques de film comme Tyomnaya Noch de Nikita Bogoslovski et Le Roi et l’Oiseau de Wojciech Kilar. Le diptyque est impressionnant, le concert du 7 décembre au Duc des Lombards, immanquable.
Franklin Kiermyer, Closer to the Sun
Un album qui s’ouvre sur une louange à l’immense Pharoah Sanders et se poursuit avec des pièces nommées Grace, Humanity ou Prayer ne peut que réveiller – si d’aventure elles sommeillaient – nos aspirations au mysticisme. Continuum au piano, grands fracas de batterie et jaillissements tumultueux de sax cosmique, la ferveur de cette musique ne tarde pas à se propager. C’est que, lorsqu’il promet de nous élever “plus près du soleil”, le batteur mélodiste Franklin Kiermyer ne triche pas : enregistré en prises brutes, sans trucages de studio ultérieurs, son album contourne judicieusement certaines stéréotypies du free pour gagner l’extase dans le don complet de soi.
Enrico Pieranunzi, André Ceccarelli & Diego Imbert, Ménage à Trois
Chez Enrico Pieranunzi, le flirt entre jazz et classique ne date pas d’hier, la “grande” musique semblant au pianiste italien une maîtresse qu’il faut caresser en cachette, loin des oreilles du vulgaire. Avec l’élégance et le rubato qu’on lui connaît, merveilleusement secondé par André Ceccarelli et Diego Imbert, il s’est pourtant décidé à dévoiler un peu de cette liaison en déclinant des thèmes de Debussy, Satie, Fauré, Poulenc ou encore Schumann et Liszt en improvisations lumineuses et voluptueuses. La preuve que les cloisons entre les langages, décidément, ne tiennent pas, et que la noblesse du jazz vaut bien celle du classique.
Fred Hersch, Sunday Night at the Vanguard
Fred Hersch n’est pas de ces musiciens qui recherchent les lumières froides d’une fausse gloire. C’est un discret, comme Bill Evans auquel on l’a souvent comparé, ou Joe Henderson, qu’il a longtemps accompagné. C’est aussi un homme en lutte avec la maladie, pour qui la musique constitue sans doute une affaire de survie. Au Vanguard, son trio n’est donc pas venu faire dans l’épate, il joue sobrement, attentif à ne pas troubler l’atmosphère feutrée propice aux meilleurs jaillissements du pianiste. Peu enclin à la fanfaronnade, celui-ci a déclaré que ce disque était son meilleur en trio, et ce n’est pas rien. A ne pas manquer, les 15 et 16 décembre au Duc des Lombards, pour des récitals en solo.
Marion Rampal, Main Blue
Aucune école, aucun professeur n’apprendra jamais à chanter comme le fait Marion Rampal. Son blues est extra-terrestre, son africanité blanche, sa féminité mâle, sa manière à elle seule. C’est donc comme une évidence de retrouver à ses côtés Anne Paceo, batteuse classieuse aux grooves charnels d’une puissance et d’une humanité hors-normes. Avec Pierre-François Blanchard aux claviers et un coup de main de Julia Sarr, les deux jeunes femmes ont enregistré un album plein de beautés simples, d’humeurs douces-amères et d’émotions directes. A savourer en concert, le 8 décembre, au Studio de l’Ermitage.
OZMA, Welcome Home
Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, OZMA ? Ce pourrait être du kobaïen, l’équivalent martien d’OVNI, en réalité ce fut un projet scientifique un brin loufoque visant à collecter des signaux extra-terrestres depuis un désert du Nevada. Le groupe du même nom découpe en lamelles le swing à papa pour le redistribuer en transes rêches, volontiers dissonantes et éprouvantes. Les calculs nerveux de la rythmique ne visent qu’à porter à ébullition le trombone de Guillaume Nuss et les saxophones de Julien Soro (qui vient par ailleurs de sortir le superbe Volons ! en duo avec Raphaël Schwab), perpétuellement enlacés dans une lutte dont on pourra savourer l’intensité le 13 décembre, au New Morning.
Les Permutants, Alive !
Deux contrebasses, deux batteries, trois saxophones, une guitare et un piano, Les Permutants n’ont pas aligné pareille artillerie pour tirer trois pétards de kermesse mais bien pour lancer des fusées qui claquent et explosent, étonnent et ravissent. Même s’il s’agit de renouer avec une histoire vieille de 20 ans (celle du Collectif MU, basé à Mâcon), pas question pour le leader François Gallix de s’embourber dans la nostalgie. L’énergie déployée par la formation est spectaculaire et l’envie de jouer et d’alimenter de toute son âme le brasier sonore, presque matériels, suffisamment palpables en tout cas, pour entraîner l’adhésion enthousiaste de l’auditeur.
Imperial Quartet, Grand Carnaval
Riffs à deux notes, motifs binaires et aucun soutien harmonique pour adoucir les angles, pour un peu, on se croirait dans un bastringue du Sud américain. Sauf qu’ici, c’est toute l’étendue du saxophone (depuis le saxophone basse jusqu’au contralto) que l’on parcourt, avec le soutien d’une batterie en fureur et d’une basse tour à tour grondante et planante. Les noirceurs rocks de l’Imperial Quartet vont ensuite s’angoisser de longs rugissements et faire gémir les sirènes du cauchemar ou bien crever en éclats de rire dans des jazz New Orleans à l’ancienne. Bigarré, festif, un peu dingue parfois, ce Grand Carnaval s’avère des pus réjouissants.
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