Improvisé en 2020 comme un exutoire au confinement, un fascinant jeu de massacre où l’humour trash se nourrit des maux de l’Amérique.
“J’ai donc décidé de devenir avec abnégation le poète du peuple”, écrit avec une emphase volontairement comique Simon Hanselmann lorsqu’il revient sur la genèse de Zone de crise, livre qui a des chances de le voir changer de statut (sans pour autant qu’il devienne le Bob Dylan du troisième millénaire).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cela fait déjà une dizaine d’années que le dessinateur australien installé à Seattle s’est inventé son monde exutoire avec la série transgressive Megg, Mogg and Owl, du nom de ses trois personnages principaux, une sorcière dépressive, un chat pervers et un hibou coincé.
Pour raconter leurs déboires et errances, entre autodestruction, addictions et profond mal-être, il a puisé dans sa propre vie ou celle de sa mère héroïnomane.
Doublé les doses de trash et les coups de théâtre insensés
En mars 2020, alors que les États-Unis se confinaient, Hanselmann, plutôt habitué aux fanzines papier, a entamé Zone de crise, publié en feuilleton sur Instagram à raison de dix cases à chaque fois.
Déterminé à “fournir du divertissement pour les troupes comme en temps de guerre”, il a doublé les doses de trash et les coups de théâtre insensés, faisant souffler un violent vent de folie sur son microcosme déjà bien secoué (la personne la plus saine d’esprit est un petit garçon nommé Jaxon).
Émeutes, rixes entre antifascistes et extrême droite, racisme, rapt d’enfant, fake news, Netflix, réseaux sociaux et cancel culture… il presse l’Amérique chaotique de 2020 entre ses doigts pour en tirer un jus acide, à la fois hilarant, toxique et bouleversant.
Une confusion des sentiments
Menées par le personnage du loup-garou Werewolf Jones – “il incarne mes accès de rage”, avoue le dessinateur –, ces centaines de pages délirantes, à ne pas mettre dans toutes les mains, provoquent une confusion des sentiments, mettent en branle un ascenseur émotionnel vacillant constamment au bord du gouffre.
Joie de vivre et nihilisme s’entrechoquent, deuil douloureux et mariages s’enchaînent comme dans une telenovela écrite par un scénariste sadique. Caché derrière ses crayons de couleur et son trait d’apparence inoffensif, Hanselmann élève l’exercice cathartique au niveau d’un art sublime.
Zone de crise de Simon Hanselmann (Dupuis/Seuil), traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanny Soubiran, 292 p., 25 €. En librairie le 4 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}