Chef-d’œuvre inattendu ou énième autobiographie médiocre d’un footballeur bling-bling ? Les Inrocks tranchent l’épineuse question et laissent le dernier mot à un spécialiste en prix : Frédéric Beigbeder…
En France, les auteurs qui prétendent faire de la littérature n’ont pas (encore) poussé le narcissisme jusqu’à s’afficher, regard ténébreux et muscles saillants, sur la première de couverture de leurs propres œuvres. Zlatan Ibrahimovic, si ! Vous aurez beau me dire que l’attaquant parisien n’est pas un écrivain germanopratin, vous serez tout de même bien surpris d’apprendre que son autobiographie s’est vendue à plus de 700 000 exemplaires en Suède et fut même en course pour y remporter le prix August, équivalent nordique de notre Goncourt national.
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En dépit de la Zlatan-hype touchant la capitale, rares furent pourtant les journalistes des Inrocks à se précipiter pour chroniquer le chef-d’œuvre venu du froid. Bizarre… Pierre Siankowski ayant lâchement passé son tour, l’auteur de ses lignes a tenu à faire consciencieusement son travail de journaliste. Zlatan mérite t-il le Goncourt ? La réponse arrive.
Oui : car on retrouve le style Zlatan tout au long du bouquin
On ne va pas vous mentir, ce n’est pas Zlatan qui a écrit son autobiographie mais bien David Lagercrantz, un super-nègre tapi dans l’ombre auquel le joueur suédois a raconté sa vie plusieurs mois durant. Passée cette négligeable anecdote, on entre facilement dans le livre qui débute, in medias res, sur les conflits à l’intérieur du vestiaire barcelonais. Zlatan y fait part de ses états d’âmes. Efficace, la langue de Zlatan atteint alors son Everest ; son parler, finement mis en valeur par les Guignols de l’info, constitue un art. La façon dont la pensée de la star est retranscrite tout au long du livre semble fidèle à celle du personnage.
Dans les premiers chapitres, oppressé par la bonne-tenue des Messi, Xavi et autres Iniesta, notre géant adepte du high-kick ne se reconnaît plus. Il s’inquiète des effets pervers d’une métamorphose kafkaïenne qui l’angoisse : « Zlatan n’était plus Zlatan », dit-il, saisi par le trouble. Après quelques mois d’amabilité forcée, Ibrahimovic revient enfin à lui-même : il hurle sur son coach, invective ses coéquipiers, menace de quitter le club. C’est une trilogie mythique qui apparaît sur le papier, délice d’autant plus renforcé par cette utilisation abusive de la troisième personne du singulier façon Delon. Une gourmandise qui comblera assurément vos plus pénibles trajets en RER.
Non : car on n’écrit pas sa légende soi-même
C’est le travers dans lequel Ibracadabra ne peut s’empêcher de tomber. L’égo, principale qualité du grand Zlatan, devient aussi régulièrement le premier de ses défauts. En dépit d’une ascension sociale remarquable et d’une carrière riche en titres, nous sommes catégoriques : impossible d’écrire sérieusement et sans recul son autobiographie à l’âge de 31 ans. Comme pour une page Wikipédia, il est préférable de laisser aux autres le soin d’écrire sa légende. Mais peut-être que tout ceci relève d’une stratégie murement réfléchie : et si, en fin connaisseur du milieu français de l’édition, Zlatan avait misé à fond sur cette mode de l’écriture de l’égo pour séduire la France des lecteurs ?
Oui : car il y a du Houellebecq chez ce Zlatan-là
Vous ne rêvez pas ! Outre un certain penchant pour les longs passages analysant la complexité des relations humaines, Ibrahimovic et Houellebecq ont un second point commun : leur obsession des marques. Si l’on ne reviendra pas sur cet « attrait pour le réel » de la part l’auteur français, la façon dont le footballeur fait systématiquement usage des noms Mercedes, Nike, Ferrari et Adidas à de quoi intriguer. Dans le monde fabuleux d’Ibra, les armoires viennent de chez Ikea, une voiture pourrie est une Fiat, un bolide est une Porsche et lui-même se définit comme le « Fido Dido du quartier de Rosengard ». Volontaire ou pas, c’est ici la distorsion de la réalité qu’induit la fréquentation d’un milieu spécifique qui se révèle. En somme, tandis que Houellebecq nous parle du monde parallèle des cadres loosers, Zlatan traite des footballeurs bling-bling…
Non : car l’histoire tourne en rond
Les amateurs de football le savent : avec Zlatan, il faut s’attendre au pire comme au meilleur. Après lecture du pavé que constitue la vie de l’attaquant suédois (444 pages tout de même), force est de constater la pauvreté et le manque d’audace du récit biographique. Si les chapitres sur l’enfance capteront l’attention du lecteur, on s’impatientera dès le début du récit de la carrière professionnelle. Zlatan marque. Zlatan se bat avec ses coéquipiers. Son agent cherche à lui faire signer de nouveaux contrats pour empocher des commissions rondelettes à la faveur de transferts rémunérateurs. Ici, l’autobiographie frôle le néant et souffre de ses nombreuses répétitions. Conclusion : si, balle au pied, le Suédois est bien un phénomène, sa vie loin des pelouses ne revêt que trop peu d’intérêt pour mériter les faveurs d’un long récit.
Oui : pour les photos…
Grand mérite de cette autobiographie qui tourne en rond : les photos ! Tout y passe. Zlatan à 6 ans, Zlatan en sélection nationale, Zlatan à la pêche, Zlatan à la chasse, Zlatan avec Pelé, Zlatan en famille, Zlatan avec sa femme Helena (surnommée « Evil-super-bitch-deluxe »). Lorsqu’on ouvre le livre, c’est la stupéfaction : sur une double-page, deux pieds nus s’offrent à nous sans pudeur. Ce sont les pieds d’un Dieu moderne, les pieds de Zlatan !
L’avis du spécialiste :
S’il avait été francophone, Zlatan aurait-il mérité le prestigieux Prix Goncourt ? Pour trancher, et puisque la question est épineuse, nous avons fait appel à l’avis d’un spécialiste du game littéraire, Frédéric Beigbeder. Comme un boulet de canon en pleine lucarne adverse, son avis est tranché : « Zlatan devrait être rapidement transféré membre du jury du prix Goncourt. Avec Pivot et Assouline en attaque, Edmonde Charles-Roux et Regis Debray au centre et permutation de Claudel-Chandernagor-Ben Jelloun en double défense latérale, sans parler de Paule Constant dans les buts, je pense que Gallimard devrait encore conserver le titre quelques saisons. »
Zlatan membre de l’Académie Goncourt ? On s’en régale d’avance !
Laurent-David Samama
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