Virée dans le chaos postsoviétique : un recueil de nouvelles brutes et désenchantées.
Mieux vaut lire les textes de Zakhar Prilepine à jeun. Imbibés d’alcool et de violence, ils font autant d’effet qu’une cuite. Une ivresse triste et sale, parfois comique, dont on sort assommé, à l’instar des antihéros défaits qui peuplent les livres de l’auteur de Pathologies et Des chaussures pleines de vodka chaude. Ancien des guerres de Tchétchénie, proche de Limonov et hostile à Poutine, l’écrivain de 40 ans donne à nouveau à voir une Russie postsoviétique à l’interminable gueule de bois dans Une fille nommée Aglaé.
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Les sept nouvelles réunies dans ce recueil empruntent autant à Gogol qu’à Dostoïevski. Accusé à tort d’un meurtre, Novikov, le jeune libraire de “L’Interrogatoire”, rappelle ainsi Raskolnikov dans Crime et châtiment. De la campagne profonde coupée de Moscou (“Le Petit Vitia”) aux provinces grises et glauques, Prilepine peint un pays en déshérence dans lequel déambulent des paumés : un rockeur déchu et camé (“Le Brancard”), un soldat déboussolé en pleine “opération de ratissage” (“Mon père”), des jeunes flics qui cassent du mafieux dans les boîtes de nuit pendant les années Eltsine (“Une fille nommée Aglaé”). Pour ces orphelins de l’idéologie communiste, seule la figure du père incarne encore un semblant d’espoir. Zakhar Prilepine sonne le glas de l’homme rouge et des illusions perdues de l’URSS à coups de mots bruts, lucides ou tendres. Un shot de désenchantement.
Une fille nommée Aglaé (Actes Sud), traduit du russe par Joëlle Dublanchet, 368 p., 23 €
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