Ancien soldat dans l’armée américaine, Kevin Powers a combattu dans le Golfe. De son expérience, il a tiré un premier roman puissant, brutal et poétique.
À chaque guerre ses grands livres. Celle du Vietnam a donné des textes aussi forts que Si je meurs au combat de Tim O’Brien. Yellow Birds, premier roman de l’Américain Kevin Powers, 32 ans, en est l’équivalent pour la guerre d’Irak. Un livre violent et lyrique aux phrases saturées de sable, de sang et de poussière, pages suffocantes qui prennent à la gorge et ne laissent aucun répit. On suit deux jeunes soldats, Murph et Bartle, dans le désert d’Al Tafar en 2004. Murph va y laisser sa peau. Bartle, lui, rentrera aux États-Unis, hanté par un sentiment de culpabilité, incapable de renouer avec sa vie d’avant. Le livre opère des va-et-vient entre le présent chaotique de Bartle et son récit des combats. Une structure éclatée, à l’image de la conscience du narrateur, qui tente désespérément de recoller les morceaux pour donner du sens à ce qu’il a vécu.
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« Et puis, j’étais jeune, naïf, je voulais voir le monde. »
Rencontré lors de son passage à Paris, Kevin Powers avoue s’identifier à ce personnage. Lui aussi a combattu en Irak. Lui aussi a eu du mal à revenir à une existence “normale”. Originaire de Virginie, Powers s’est engagé dans l’armée à 17 ans.
“Mon père et mon oncle ont servi dans l’armée, mes deux grands-pères ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme je n’étais pas très bon élève, l’armée était un moyen de financer mes études. Et puis, j’étais jeune, naïf, je voulais voir le monde.”
Il se sent trahi
Quand il est envoyé au front en 2004, il ne se pose pas la question du bien-fondé de l’intervention en Irak. Ce qui compte pour lui, c’est d’être auprès de ses frères d’armes. À son retour, il comprend que cette guerre repose sur un mensonge. Il se sent trahi. Il enchaîne des petits boulots qui ne lui plaisent pas, mais garde toujours en tête l’idée d’écrire. Il décide finalement de reprendre des études de littérature à l’université d’Austin, au Texas.
“Longtemps, j’ai pratiqué l’écriture comme une sorte de hobby, une occupation secrète. La guerre m’a en un sens libéré de mes peurs et de mes inhibitions.”
Écrire sur son expérience en Irak s’est imposé comme une évidence. La forme romanesque aussi. “J’avais besoin de mettre ma propre histoire à distance pour aboutir à un livre plus éclairant et riche de sens.” L’écriture éminemment poétique de Powers, grand lecteur de Dylan Thomas, élève elle aussi Yellow Birds bien au-delà du récit brut. La nature y est omniprésente. Kevin Powers invoque le peintre romantique Caspar David Friedrich et donne une explication étonnante à la minutie de ses descriptions : “Les médecins préconisent aux personnes qui ont vécu d’importants traumatismes de nommer avec précision les choses qui les entourent. C’est une façon de reprendre le contrôle.”
C’est aussi une définition possible de l’écriture. Kevin Powers vient d’achever un recueil de poèmes et prépare un roman qui devrait se dérouler à la fin de la guerre de Sécession. “Je pense que je n’en aurai jamais vraiment fini avec la guerre, en tout cas avec la question de la violence.” Tout cela est dit avec une infinie douceur.
Elisabeth Philippe
Yellow Birds (Stock, La Cosmopolite), traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, 264 pages, 19 €
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