Le grand auteur américain est mort la nuit dernière.
Grandir au cœur du Midwest ne prédispose en aucune manière à signer une oeuvre mainstream : né en 1924 à Fargo et décédé dans la nuit du 6 au 7 décembre, William H. Gass fût l’un des écrivains les moins terre à terre qu’aient enfanté les Etats-Unis. A son enfance, passée au cœur des plaines de l’Ohio et marquée par la détestation réciproque que se portent une mère alcoolique et un père invalide de guerre, Gass doit de chercher un refuge dans les livres, puis dans la philosophie, qu’il enseignera pendant un demi siècle à l’université. Au sortir de la seconde guerre mondiale, durant laquelle il sert dans la marine, il se tourne vers l’écriture. En 1966 son premier roman – La Chance d’Omensetter – lui vaut des comparaisons flatteuses avec Joyce et Faulkner ; deux ans plus tard, le recueil de nouvelles sur lequel il travaille depuis 1951 – Au cœur du cœur du pays – assied définitivement sa réputation d’écrivain hors norme. Lors de sa parution, le Washington Post vante des « tournures de phrases tellement sensuelles qu’elles en deviennent presque lubriques » ; aussi peu conventionnelle que puisse être l’œuvre d’un écrivain mettant « l’intrigue de roman » sur le même plan que « le crottin de cheval« , les prouesses mélodiques de la plume sont chez Gass une constante source d’enchantement.
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Cette prose au pouvoir hypnotique se combine à un penchant postmoderne pour toutes les radicalités, qu’elles soient de forme ou de fonds. En s’immergeant dans le processus mental d’un narrateur fasciné par le nazisme, les 700 pages d’un troisième roman – Le Tunnel, fruit de trois décennies d’un labeur que récompenseront en 1995 l’attribution de l’American Book Award – doivent à une hypothétique proximité entre auteur et personnage de susciter controverse et perplexité. Huit ans plus tard, la révulsion qu’inspirent à Gass les crimes contre l’humanité trouve un débouché sensiblement plus reader friendly : avec Le Musée de l’inhumanité (2013) , le romancier quasi nonagénaire signe une comédie aussi juvénile que jubilatoire, dont l’exquis mauvais esprit va de pair avec une sensibilité élégiaque capable de faire jaillir d’une casse automobile « un oratorio du rebut, de l’usé, de l’oubli, de ceux qui se dressaient solitaires au bord d’une route déserte« .
A défaut d’être déserte – dans un essai de 1983, Tropes of the Text, Thomas Bernhard et Mario Vargas Llosa étaient adoubés compagnons de voyage – la route de William H. Gass fut toujours singulière : avec la disparition de cet écrivain à nul autre pareil, survenue à l’âge de 93 ans, l’Amérique des lettres perd en même temps un poète, un théoricien et l’un de ses plus intrépides explorateurs de l’âme humaine.
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