Odyssée animalière publiée en 1972, Watership Down de l’Anglais Richard Adams est un classique de la littérature d’aventures. Méconnu en France, il ressort aujourd’hui dans une version revue et relookée. Un chef-d’œuvre de fiction et de modernité.
Les plus belles aventures commencent toujours de la même manière. Il n’y avait pas de raison que celle de Watership Down, livre culte britannique publié en 1972 et vendu aujourd’hui à plus de 50 millions d’exemplaires dans le monde, déroge à la règle. Il était une fois Richard Adams, 52 ans, sur la route des vacances. Avec ses deux filles, ce fonctionnaire anglais se rend à Stratford-upon-Avon, la ville de Shakespeare.
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Depuis Londres, le trajet semble long, alors pour faire passer le temps, son aînée lui demande de raconter une histoire. Adams, qui n’a jamais écrit, lance spontanément : “Il était une fois deux lapins appelés… Hmm… voyons… Hazel et Fyveer…” Dans les mois qui suivent, le quinquagénaire imagine chaque soir un nouveau chapitre aux aventures de ces héros à grandes oreilles, pour pouvoir les conter à ses filles le lendemain matin sur le chemin de l’école.
Les copies se vendent par millions
Comme Lewis Carroll, qui écrivit Les Aventures souterraines d’Alice après les avoir dites aux sœurs Liddell lors d’une promenade en barque, Richard Adams, poussé par ses enfants, décide de coucher sur papier son épopée animale. Après deux ans de rédaction et treize refus, le texte est publié à 2 500 exemplaires par une petite maison londonienne.
Le succès est immédiat. Très vite, les copies se vendent par millions au Royaume-Uni, aux Etats-Unis puis partout dans le monde. Adapté sur grand écran, sur scène et en série, Watership Down devient un classique des étagères enfantines entre Le Seigneur des anneaux de Tolkien, Le Livre de la jungle de Kipling et L’Odyssée d’Homère.
Un formidable roman d’aventures, aux thèmes atemporels et aux résonances étrangement modernes
Curieusement, malgré son destin éditorial exceptionnel, le roman de Richard Adams n’a jamais réussi à accrocher les lecteurs français. Après une première publication en 1976, puis trois suivantes relativement intimistes, les éditions Monsieur Toussaint Louverture ressortent aujourd’hui une version entièrement revue, corrigée et relookée du texte. L’occasion de donner une nouvelle chance à ce formidable roman d’aventures, aux thèmes atemporels et aux résonances étrangement modernes.
Avec ses 540 pages d’épopée bucolique, Watership Down possède une narration virtuose. Séquencée en courts chapitres, forme imposée par la brièveté des promenades matinales de la famille Adams, le roman suit – à hauteur de lapin – l’exode d’une bande de petits mammifères qui fuit sa garenne natale menacée par l’urbanisation.
Imagination exaltée
Conteur à la vocation aussi tardive qu’inattendue, Richard Adams manie pourtant les codes de la fiction avec une dextérité déconcertante. Science de l’identification, limpidité de la prose, intelligence du cliffhanger et génie de l’action : si son œuvre est écrite au début des années 1970, ses ficelles se révèlent identiques à celles tirées par les showrunners de nos séries actuelles. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Netflix et la BBC débloquent 25 millions d’euros pour orchestrer une nouvelle adaptation du livre. Et qu’on prenne tant de plaisir à s’y plonger.
Car à l’habilité de la forme, l’auteur répond, sur le fond, par une belle exaltation de l’imagination. A ses lapins, loin d’être crétins, Adams prête des caractères humains. Leur chef, Hazel, est rusé, Rubus intelligent, Bigwig puissant et courageux, Rahmnus sensé, Fyveer chétif mais devin. Adams leur invente une quête salvatrice, des mésaventures en pagaille et même une mythologie tissée d’histoires fantastiques et de personnages héroïques.
A l’instar des maîtres du genre – les Tolkien, London, Twain, Dumas ou Verne –, le romancier britannique magnifie dans ses pages ces valeurs universelles qui forgent les grands romans d’aventures : l’amitié, le courage, la tolérance et la bienveillance. Watership Down se lit comme une ode au pouvoir du romanesque, comme une respiration fictionnelle jubilatoire.
Régimes totalitaires et migrations
Et si aujourd’hui, le romancier de 96 ans continue de soutenir qu’il n’y a aucun message sous-jacent à chercher dans son odyssée animalière, il est difficile de ne pas trouver dans son texte plusieurs niveaux de lecture. Difficile d’abord de ne pas voir une critique acerbe des régimes totalitaires, hygiénistes et policiers dans le portrait glaçant de l’une des garennes du roman dirigée par un Général lapin dictatorial.
Difficile encore de ne pas penser à ces milliers de migrants déplacés par les conflits et les catastrophes climatiques, en quête, comme Hazel et sa bande, d’une terre d’accueil où réinventer leur futur. Difficile enfin de ne pas deviner le manifeste écologique entre ces lignes qui subliment la vie animale et la beauté sauvage de la nature, rédigées par celui qui fut employé du ministère de l’Environnement anglais.
Mais trêve de parabole et d’allégorie : Richard Adams n’en démord pas, Watership Down n’est rien d’autre qu’“une rudement bonne histoire”. A mon avis, ça sent la carotte. Léonard Billot
Watership Down (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais par Pierre Clinquart, 544 pages, 21,90 €
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