Sous le coup d’une fatwa, Salman Rushdie invente en 1990 un océan dans les eaux duquel les imaginaires s’hybrident et se régénèrent, au grand dam des censeurs de tout poil.
C’est une planète inconnue des astronomes. Une lune, dotée d’un nom –Kahani – signifiant, en hindoustani, “histoire”. Une lune voyageant tellement vite que nul Terrien ne peut en détecter l’existence, ce qui n’empêche pas le héros du cinquième roman de Salman Rushdie, Haroun et la mer des histoires, de s’y retrouver transporté à dos d’oiseau mécanique.
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Matrice de tous les imaginaires
Une lune rêvée par une sommité du roman postmoderne qui, en faisant découvrir à son jeune voyageur un “océan des courants des histoires”, lui dévoile les vertus de l’intertextualité : “Parce que les histoires s’y étaient conservées sous forme fluide, elles préservaient leur capacité à changer, à devenir de nouvelles versions d’elles-mêmes, à se joindre à d’autres histoires et à devenir d’autres histoires encore.”
Davantage qu’un simple lieu imaginaire, l’océan de Kahani est en effet la matrice de tous les imaginaires, passés, présents et à venir, qu’ils soient écrits, chantés ou filmés, des studios d’Hollywood à ceux de Bollywood.
En 1990, quand il écrit Haroun et la mer des histoires, Rushdie est sous le coup d’une fatwa, prononcée par les autorités religieuses iraniennes à la suite de la publication des Versets sataniques. En riposte, le romancier imagine une planète sur laquelle s’affrontent un peuple de pipelettes impénitentes – les Gups – et leurs voisins ayant fait vœu de silence, les Chups.
Un conte pour enfants
Afin de contrecarrer les desseins du chef des Chups, un sorcier maléfique acharné à polluer la mer des histoires, et à éliminer ainsi toute possibilité de fiction, le jeune Haroun s’embarque dans une épopée offrant à Rushdie l’occasion de faire flirter et s’hybrider les univers des Contes des mille et une nuits, d’Alice au pays des merveilles, du Seigneur des anneaux, du Magicien d’Oz et de Yellow Submarine, le dessin animé dans lequel les Beatles combattaient en 1968 des Blue Meanies déterminés à priver le monde de couleurs.
Truffé de références littéraires, de gags verbaux, de clins d’œil au cinéma et d’emprunts à des chansons populaires – du Hallelujah I Love Her So de Ray Charles au I Am the Walrus de Lennon/McCartney –, un conte pour enfants d’un charme et d’une drôlerie constants qui véhicule ainsi à la fois une véhémente défense de la liberté d’expression et un hommage aux bienfaits de l’imagination créatrice.
Haroun et la mer des histoires (Folio), traduit de l’anglais par Jean-Michel Desbuis, 240 pages, 7,50 €
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