Durant les années 70, le “New Musical Express” a donné à toute une génération des leçons d’intransigeance et de mauvaise foi. Dans leurs romans, trois de ses anciens lecteurs, Nick Hornby, Roddy Doyle et Jonathan Coe, font des îles britanniques une terre d’adolescence au long cours.
Novembre 1976. Un provincial de 16 ans débarque à Londres. Destination : les bureaux d’un hebdomadaire musical. Sur les parois entourant le box d’une paire de polémistes punk, du fil de fer barbelé et des tessons de bouteilles – un habitué explique : “C’est le bunker de Tony et Julie.” Epaté, le visiteur – Doug, l’un des héros de Bienvenue au club, le beau roman nostalgique publié en 2001 par Jonathan Coe – bredouille : “LE Tony Parsons ?”
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Rencontré récemment, Nick Hornby faisait écho à l’émoi de Doug : “A la fin des années 70 et au début des années 80, je dévorais chaque semaine le New Musical Express. C’est en lisant les papiers de Tony Parsons et Julie Burchill que je me suis dit que, moi aussi, je pourrais peut-être écrire. Ensuite, il y a eu la parution de la Trilogie de Barrytown de Roddy Doyle.”
Rapprochement logique – durant son adolescence dublinoise, Doyle avalait lui aussi le NME. A la première page de son premier roman, The Commitments (1988), le roi du cool Jimmy Rabbitte apprend par cœur chaque numéro de la bible londonienne des fans de rock.
Une mauvaise foi érigée en éthique
C’est dans les pages de cet hebdo légendaire que trois des romanciers de langue anglaise les plus drôles des vingt-cinq dernières années ont appris que le rock pouvait constituer un formidable sujet de comédie. Principale source de gags ? La mauvaise foi érigée en éthique, le pinaillage à tout crin, les arguties, les oukases, les envolées laudatrices et leur envers, l’iconoclastie de principe.
Dans le premier roman de Doyle comme dans celui de Hornby (Haute fidélité, 1995), chaque personnage a sa façon d’entourer de barbelés le périmètre de ses musiques favorites. Et de montrer les dents aux intrus, les déboires du héros du roman le plus rock de Jonathan Coe – son troisième, Les Nains de la mort, paru en 1990 – venant du fait qu’il est au sein de son groupe entouré de caractériels aussi intolérants qu’érudits.
Joutes oratoires et intransigeance esthétique
Spécificité britannique, l’existence de trois hebdos – le NME, le Melody Maker et Sounds – se livrant à la fin des seventies une concurrence acharnée entraîne alors une vertigineuse valse des tendances et produit une génération de lecteurs préférant à la vie réelle leur univers d’encyclopédisme maladif, de sanctifications et d’excommunications – suivies, fatalement, de réhabilitations.
Chez Hornby, Doyle et Coe – respectivement nés en 1957, 1958 et 1961 –, on croise ainsi des adultes incapables de renoncer aux joutes oratoires de leurs jeunes années, de mettre de l’eau dans leur vin (ou leur Guinness), de transiger sur d’infimes points d’esthétique – le son d’une batterie, la poésie d’une rime, le tempo d’un refrain.
Une terre d’éternelle adolescence
A travers leurs romans s’esquisse l’image d’îles britanniques où les petits-enfants postpunk de Peter Pan connaissent au jour près la date de sortie du premier single des Sex Pistols – le 26 novembre 1976 – mais refusent obstinément de grandir. Une terre d’éternelle adolescence, où des zozos capables de faire entrer toute l’expérience d’une vie dans des top five illustrent les vertus de l’immaturité, irremplaçable corollaire des débats rock.
Haute fidélité de Nick Hornby (10/18), traduit de l’anglais par Gilles Lergen, 256 pages, 7,50 €
The Commitments de Roddy Doyle (Robert Laffont/Pavillons poche), traduit de l’anglais (Irlande) par Isabelle Delord-Philippe, 219 pages, 8 €
Les Nains de la mort de Jonathan Coe (Folio), traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, 240 pages, 7 €
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