Despentes et Houellebecq, les deux auteurs que tout le monde a envie de lire. Et, pour une fois, tout le monde a raison.
En 1994, l’une publiait Baise-moi chez Florent Massot et l’autre Extension du domaine de la lutte chez Maurice Nadeau. En 2010, ce sera le Goncourt pour Houellebecq et le Renaudot pour Despentes. On parlait alors de la consécration d’une génération. Leurs nouveaux livres sortent aujourd’hui : Vernon Subutex, 1 (Grasset) et Soumission (Flammarion). Ce sont ceux que tout le monde a envie de lire. Et, pour une fois, tout le monde a raison.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour Michel, les choses se déroulent à peu près comme prévu. Alain Finkielkraut est très satisfait, sur l’air du “Depuis le temps que je vous le dis, que les musulmans nous veulent du mal, à nous autres bons Français, voilà que Houellebecq le dit aussi, et vous voilà bien embêtés, pauvres idiots même pas utiles !” ; Franz-Olivier Giesbert, de son côté, titre “Houellebecq et les vrais islamophobes” et enchaîne sur le “djihadisme français”, preuve qu’il n’a pas ouvert le livre, le Mohammed Ben Abbes de Houellebecq ressemblant beaucoup plus à une sorte de démocrate-chrétien retors, à l’italienne, c’est-à-dire peu démocrate et peu chrétien, qui choisit d’ailleurs François Bayrou comme Premier ministre, qu’à un fou de Dieu. Ce Ben Abbes ne fait pas du tout le djihad mais de la bonne vieille politique.
Enfin, à droite, globalement, ils sont contents, et veulent croire que Houellebecq est une bonne prise de guerre, une sorte de Zemmour qui saurait écrire. Le danger d’une victoire de l’islam politique en France à la présidentielle de 2022, ils y croient à mort, ça les terrifie. Mais que pensent-ils de la réélection – imaginée dans Soumission, i-ma-gi-née – de François Hollande en 2017, contre Marine Le Pen au second tour ? Ils y croient sûrement moins, d’un coup…
A gauche (sic), Laurent Joffrin accuse carrément le pauvre Michel de “chauffer la place de Marine Le Pen au café de Flore”. Mais le Flore, attends, lequel ? celui du XXe ou du XXIe siècle ? le vieux où le demi est si cher ou le nouveau, le Libération que dirige Joffrin ? On s’y perd. Mais comme quiconque oserait prétendre que bon, la littérature, parfois, c’est un peu plus compliqué et intéressant qu’un vertueux éditorial serait aussitôt accusé de contorsionnisme idéologique, d’irresponsabilité politique, de formalisme bourgeois et de défense acrobatique de l’indéfendable Michel, remettons la suite de nos enthousiastes contorsions houellebecquiennes à la semaine prochaine.
Et pendant ce temps-là, Virginie Despentes, elle aussi autrefois accusée d’avoir commis un film “fasciste” avec Baise-moi par le déjà sévère Joffrin, publie tranquillement le premier des trois volumes de son grand roman, Vernon Subutex. Ancien disquaire au grand cœur, Vernon se retrouve à la rue et doit faire le compte de ce qui lui reste comme véritables amis, de ceux qui lui ouvriront leur canapé, voire leur lit. Marabout-bout de ficelle-selle de cheval, et les personnages s’enchaînent et dessinent une hallucinante fresque générationnelle, portée par une écriture à la sève parfaitement maîtrisée.
Pas vraiment de nostalgie, plus guère d’illusions, mais le paysage social d’après les rêves de jeunesse, et cette façon proprement balzacienne de faire exister et parler tout le monde, dans une comédie humaine ultracontemporaine. Alors que Soumission est le moins romantique des livres de Houellebecq, à la fois sarcastique et ouaté dans un calme d’au-delà du désespoir, une apesanteur de science-fiction, Vernon Subutex a l’ampleur et la générosité du récit picaresque, un picaresque au ras des trottoirs de Paris. D’un côté, la stridence de la fable ; de l’autre, l’ivresse du récit. Deux grands livres pour inaugurer 2015. Meilleurs vœux.
{"type":"Banniere-Basse"}