Deux albums à l’esprit frondeur racontent chacun à sa manière les luttes d’aujourd’hui et les questionnements citoyens.
La première est américaine, le second français. Appartenant à la même génération, celle des trentenaires et des quadras, Eleanor Davis et Pierre Maurel ne se connaissent pas (encore). Pourtant, signe des temps et des convergences des préoccupations au-delà des continents, leurs nouvelles bandes dessinées respectives nous plongent dans le bouillonnement des conflits sociaux d’aujourd’hui avec le même désir de réinventer la politique à l’échelle, complexe, des individus.
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Certes, Eleanor Davis tord légèrement le monde réel pour bâtir sa fiction. Mark Zuckerberg a été élu président d’un Etat policier où l’emploi des armes chimiques est généralisé et la liberté de manifester, menacée. Aide-soignante et citoyenne engagée, Hannah s’y bat pour changer les choses et, aussi, pour son couple, qui essaie d’avoir un enfant. Parce qu’Eleanor Davis a fini le livre tout en étant enceinte – “J’espère que tu nous pardonneras de t’avoir fait naître dans un monde terrible et beau”, écrit-elle dans sa dédicace au bébé –, les angoisses d’Hannah sont en partie les siennes.
Tous les espoirs placés en l’amour
Mais elle donne autant de chair et de vie aux autres, des copines militantes d’Hannah au voisin survivaliste un peu cinglé. Avec son noir et blanc élégant, alternant violences urbaines et paysages bucoliques, elle a imaginé un récit émouvant qui va parfois au clash mais ne sacrifie pas à la facilité.
Comme Pierre Maurel avec Michel et le grand schisme qu’il a dessiné l’année dernière. Reflet réaliste de 2019 vu de France, l’album dépeint le mouvement des Gilets jaunes et la répression policière, mais aussi d’autres phénomènes tels que les trottoirs envahis par les trottinettes électriques
S’il aborde des questions de fond – en premier lieu, comment militer au quotidien et appréhender son environnement –, Pierre Maurel utilise un humour doux-amer pour ne pas tomber dans le brûlot austère. Lui aussi manifeste beaucoup de tendresse pour ses personnages captés d’un trait vif et expressif.
Reporter radio freelance précaire, Michel possède un vrai potentiel comique. Mais son créateur lui fait vivre avec Béa, vendeuse d’électroménager révoltée, un début d’idylle. Comme Un monde terrible et beau, Michel et le grand schisme place tous ses espoirs en l’amour. Et ça ne constitue pas une coïncidence.
Un monde terrible et beau d’Eleanor Davis (Gallimard), traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand, 152 p., 18 €
Michel et le grand schisme de Pierre Maurel (L’Employé du Moi), 80 p., 14 €
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